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Un océan de déchets ?



La question des déchets est un indicateur de la circulation océanique de surface et une menace pour la santé des océans. Ils affectent toute la chaîne trophique, du plancton aux espèces supérieures, comme les poissons, qui les consomment. S’y ajoute tout ce que les pêcheurs perdent (filets, nasses) dans lesquels oiseaux, poissons et tortues sont piégés.

Sur le plan spatial, on conçoit que les eaux côtières ou proches des continents en portent l’essentiel. On observe également, du fait des courants de surface, de fortes concentrations dans des parties très éloignées des côtes, dans le Pacifique et dans l’Atlantique, à la mesure des concentrations de population dans l’hémisphère nord. Après le tsunami qui a frappé les côtes japonaises en 2011, environ 100 millions de tonnes de déchets sont arrivées en mer et on estime que 5 millions de tonnes ont dérivé vers l’Est du Pacifique.

La concentration est la plus forte au cœur des gyres de courants par dérive lente. En océanographie, un gyre est un courant annulaire en rotation dans les océans créé par l’équilibre entre l'effet de Coriolis et le gradient de pression. Une bonne illustration est donnée par l’odyssée des jouets en plastique perdus en mer au large de Hong-Kong par un porte-container : on suit les jouets de 1992 jusqu’à 2007, devant les côtes de l’Europe occidentale, après un passage par le détroit de Behring et l’Arctique.

Même des territoires très isolés sont affectés, comme l’île Henderson (sud du Pacifique, inhabitée, visitée tous les 5 à 10 ans pour des expéditions scientifiques et à 5 000 km de la première grande ville. Elle est à quelques centaines de km des îles Gambier (Polynésie Française), mais se trouve à proximité du gyre du sud Pacifique, qui en fait l’île la plus polluée du monde (jusqu’à 671 morceaux de plastique au m2 sur les plages selon l’ONG britannique Royal Society for the Protection of Birds, soit la plus forte densité de déchets jamais mesurée (avec une probable sous-estimation selon les chercheurs).

Une étude montre que plus de 200 espèces de poissons, crustacés et mammifères pourraient être menacées par une ingestion de plastique, ainsi que 55 % des oiseaux marins dans le monde.

Plus de 300 millions de tonnes de plastiques produites annuellement dans le monde ne sont pas recyclées. Environ huit millions de tonnes de débris plastiques sont déversées tous les ans dans les mers et océans du globe. Les scientifiques pensent qu’il pourrait y avoir jusqu’à 110 millions de tonnes de déchets en plastique dans les océans. A ce rythme, les océans compteront plus de plastique que de poissons en 2050.

Quelles solutions pour « vider » les océans de cette pollution plastique ?

Des initiatives existent :

- le projet Ocean Cleanup, fondé par le néerlandais B. Slat. Projet de barrière filtrante géante qui récolterait les déchets pour les ramener à terre. Les premiers déchets ont été ramassés en 2019, mais le dispositif doit encore être amélioré (résistance aux tempêtes par exemple).

- des marques qui utilisent du plastique retrouvé sur les plages pour sensibiliser la population à la pollution des océans, comme Head & Shoulder, qui a commercialisé en France en 2017, une édition limitée de bouteilles de shampoing faites avec 25 % de plastique retrouvé sur les plages françaises et européennes (soit 3 000 kilos, 150 000 bouteilles). Cette initiative est peut-être une avancée (prise en compte du problème des plastiques à usage unique) mais c’est surtout un magnifique coup marketing et du greenwasing vu le coût environnemental des produits de la firme Procter and Gamble. C’est un peu pareil quand Coca communique sur ses bouteilles en plastique recyclé (ou sur le fait qu’il faut recycler ses bouteilles) alors que la firme est l’un des plus gros pollueurs au monde.

- Le Manta, navire collecteur de plastique (49 m de large sur 60 de long) qui devrait traiter 300 m3 de déchets par jour, acheminés dans la coque à l’aide de tapis roulants.

- La larve Galleria mellonella, capable de dégrader le polypropylène, à la base des sacs plastiques. La découverte des propriétés de cette larve, d’habitude commercialisée en tant qu’appât de pêche, pourrait marquer un véritable tournant dans la lutte contre la pollution plastique. Le processus de dégradation est relativement rapide pour une larve de cette taille. L’enjeu est maintenant de réussir à identifier le processus moléculaire responsable de la dégradation du plastique et de déterminer comment en isoler l’enzyme responsable, pour ensuite pouvoir la produire à échelle industrielle.

On peut aussi penser aux nettoyages de plage, qui ont lieu partout dans le monde.

S’il est important d’essayer de vider les océans du plastique qu’ils contiennent, il est encore plus important d’arrêter de déverser du plastique dans les océans. Le nettoyage des plages est efficace, mais il est en fait indispensable de prendre le problème bien plus en amont : le vrai problème est celui de notre mode de vie et de consommation, où le plastique est omniprésent. L’autre problème est celui de l’entretien d’un mythe du plastique recyclable à l’infini, mais aussi du non traitement des déchets et le déficit du ramassage des ordures dans de nombreux pays.

Prenons ici l’exemple de « l’île poubelle » des Maldives. En 2013, Alison Teal, est arrivée sur l’île de Thilafushi, aux Maldives, prête à passer trois semaines sans eau et nourriture pour l’émission de télé-réalité Naked and Afraid. Dans toutes les îles, le traitement des déchets est problématique, d’où le choix fait par le gouvernement des Maldives dès 1992 (au passage, l’une des pires dictatures du monde, réfléchissez avant d’aller passer vos vacances là-bas) de les jeter à Thilafushi. Au début, les déchets étaient ensevelis, mais les bateaux débarquent aujourd’hui entre 300 et 400 tonnes d’ordures par jour (depuis Mahé la capitale et les hôtels de luxe), déposées sur le sol, sans aucun tri préalable. L’île grandit ainsi d’un mètre carré par jour. Mais dans ces ordures se glissent aussi des déchets toxiques : amiante, métaux lourds, déchets électroniques qui polluent la mer, et menacent la santé des éboueurs. En effet, 150 éboueurs travaillent dans la décharge, tous émigrés, pour la plus grande partie du Bangladesh, (personne d’autre ne veut y travailler en raison de la puanteur et des risques). Ils dégagent la route pour les camions apportant chaque jour leur encombrant chargement, et mettent le feu aux ordures, après avoir déversé dessus de l’huile usagée. Ils tentent également de récupérer un peu les métaux pour les revendre.

En 2014, Alison Teal est retournée aux Maldives pour faire un reportage sur Thilafushi, ramasser des déchets, sensibiliser la population locale, en particulier les enfants, aux enjeux environnementaux et faire connaître les technologiques qui transforment les déchets en matières réutilisables.

La vraie protection des océans repose encore une fois, comme pour la pêche, sur nos choix individuels. Mais aussi sur la volonté des États.

Le 10 décembre 2019, les députés français ont acté la fin de tous les emballages de plastique à usage unique en 2040, impliquant « tous les emballages alimentaires, les flacons et bouteilles ». Les critiques ont fusé : le délai étant jugé beaucoup trop long.


Le Parlement européen a déjà entériné l’interdiction des plastiques à usage unique à l’horizon 2021. Mais certains États-membres n’ont pas attendu le vote européen pour agir (un peu) au niveau national. À l’instar de l’Ecosse qui a banni les pailles en plastique en janvier 2018 et de l’Italie qui a arrêté de fabriquer et de vendre des cotons tiges et cosmétiques contenant des micros plastiques depuis janvier 2019. La France, elle, a quelque peu anticipé la position européenne par un arsenal législatif destiné à supprimer le plastique de façon progressive. La loi sur la biodiversité de 2016, la loi Egalim de 2018 puis la loi PACTE de 2019 ont acté la fin des cotons tiges, gobelets, assiettes en 2020, et des pailles, couverts, touillettes et assiettes en polystyrène en 2021. Au niveau mondial, le Bangladesh a été le premier en 2002 à interdire la distribution gratuite de sacs en plastique après avoir découvert que ceux-ci bouchaient les systèmes de drainage et provoquaient d’importantes inondations. Une initiative reprise par l’Inde la même année, la Chine en 2008, le Kenya en 2017… L’Irlande, elle, les a taxés dès 2002, sans les interdire pour autant. Depuis, des dizaines d’autres États ont adopté la même législation. De ce point de vue, la France ne se situe pas parmi les pionniers puisqu’elle n’a banni la distribution des sacs plastiques qu’en 2016…

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