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STATU QUO OU STATUES DEBOULONNEES ?


https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/12/du-sud-des-etats-unis-a-la-france-des-statues-deboulonnees-pour-une-histoire-partagee_6042614_3210.html

https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-politique/l-edito-politique-12-juin-2020

https://www.huffingtonpost.fr/entry/racisme-esclavage-quelles-statues-posent-probleme-en-france_fr_5ee33163c5b6b13c3bdb5d35

https://www.letelegramme.fr/france/le-statut-des-statues-13-06-2020-12565721.php

https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-d-ali-baddou/l-invite-d-ali-baddou-12-juin-2020

https://www.franceculture.fr/histoire/esclavage-le-role-actif-des-noirs-ce-point-aveugle-du-recit-de-labolition



Si la vague de protestation depuis la mort de George Floyd a déclenché force manifestations à travers le monde contre les violences policières et les discriminations raciales, elle a également ravivé chez les contestataires la mode du déboulonnage de statues de personnalités controversées, le tagage de noms de rues d’esclavagistes.

Ainsi, le 7 juin, la statue d’Edward Colston, marchand d’esclaves de la fin du 17e siècle qui a financé de nombreuses institutions à Bristol, a été déboulonnée puis jetée à l’eau dans cette ville anglaise tandis que la statue de Winston Churchill a été tagée avec l'inscription « he was racist » avant d'être protégée dans un caisson dressé par les autorités britanniques.

Aux États-Unis, des statues de Christophe Colomb, longtemps présenté comme le “découvreur de l’Amérique” et désormais souvent considéré comme une des figures du génocide des indigènes, ont été décapitées ou vandalisées à Boston, Miami et en Virginie.

En Belgique, une statue de l’ex-roi Léopold II, figure controversée du passé colonial du pays, a été retirée d’un square à Anvers mardi après avoir été vandalisée.

En France, deux statues de Victor Schoelcher, député de la Deuxième République et promoteur de l’abolition de l’esclavage en 1848, ont été décapitées et déboulonnées le 22 mai 2020 en Martinique tandis que la statue de Colbert qui siège devant l'Assemblée Nationale est publiquement menacée par des groupes et associations de lutte contre l'esclavage.


J'en arrête là avec cet inventaire qui n'est pas exhaustif mais qui traduit en France et dans le monde, un véritable problème sociétal : les monuments honorant des figures de la traite négrière ou de ses défenseurs, pour lesquels les « vies noires » ne comptaient pas, les statues représentant des personnalités ayant eu des actions ou simplement des positions colonialistes, peuvent-elles rester en place alors qu'elles apparaissent aux yeux de beaucoup comme des symboles inadmissibles et des obstacles au vivre-ensemble ?



C'est un sujet éminemment compliqué qui touche à l'Histoire, à la façon dont elle est enseignée aux enfants et dont elle est regardée par le politique.

C'est un thème qui ravive non seulement la douleur des descendants d'esclaves, désireux de comprendre comment des hommes du passé ont pu exploiter leurs ancêtres, mais aussi celle des enfants issus de la colonisation, à la recherche de l'histoire de leurs aïeuls.

C'est un lieu d'affrontement de logiques mémorielles différentes selon qu'on est descendants de colonisés ou de colons.

C'est une plaie ouverte qui ne se referme pas en raison de la volonté de certains qui soit veulent occulter l'histoire controversée de leur pays soit aspirent à ne la regarder que partiellement, par le truchement leur propre héritage culturel et familial.


Pourquoi alors prendre le risque de traiter cette problématique des statues et de tous les sujets qu'elle soulèvent, dans le cadre de ce blog ?

Tout simplement parce qu'il s'agit là d'une question essentielle qui fragilise notre société depuis le lendemain de la seconde guerre mondiale, en fracturant le vivre-ensemble et en développant le repli communautaire.

Un nouveau modèle de développement passe nécessairement par un affrontement de notre passé historique afin de pouvoir accéder dans l'avenir à un socle de pensées apaisé.

Comme le dit si bien l'économiste Thomas Piketty, « il faut affronter le racisme » et «réparer l'Histoire ». Il ajoute dans une tribune médiatique : «  Pour réparer la société des dégâts du racisme et du colonialisme, il faut changer le système économique, avec pour fondement la réduction des inégalités et un accès égalitaire de toutes et de tous à l’éducation, à l’emploi et à la propriété (y compris avec un héritage minimal), indépendamment des origines, pour les Noirs comme pour les Blancs. »

Je crois fortement qu'une mobilisation citoyenne, avec pour commencement des vecteurs de réflexion comme ce blog participatif, peuvent utilement contribuer à cet objectif de réconciliation mémorielle, de pacification du débat civique.


En effet, aucun homme politique en France n'est parvenu à obtenir cette concorde nationale, sûrement parce qu'aucun d'entre eux n'a réussi à se départir de son esprit partisan et à accepter que d'autres regards moins complaisants soient portés sur le passé de notre République. Leurs interventions n'ont fait que susciter polémiques, dénonciations, raidissement de deux camps antagonistes, ceux qui veulent enfouir le passé par peur de devoir s'en excuser et ceux qui veulent le réécrire a postériori sans le contextualiser.

Souvenez-vous du discours nauséabond de Jacques Chirac sur le bruit et l'odeur, qui avait provoqué en son temps l'hilarité général de ses auditeurs :

« Comment voulez-vous que le travailleur français qui habite à la Goutte-d’Or où je me promenais avec Alain Juppé il y a trois ou quatre jours, qui travaille avec sa femme et qui, ensemble, gagnent environ 15.000 francs, et qui voit sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50 000 francs de prestations sociales, sans naturellement travailler !  "Si vous ajoutez à cela le bruit et l'odeur, eh bien le travailleur français sur le palier, il devient fou. Il devient fou. C'est comme ça."

Souvenez-vous du discours condescendant de Nicolas Sarkozy à Dakar où il avait affirmé : « Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire ».

Souvenez-vous enfin du discours d'Alger, du candidat Emmanuel Macron en 2017, au cours duquel il avait qualifié la colonisation de « crime contre l'humanité » avant de la requalifier de « crime contre l'humain » suite aux vives polémiques suscitées dans la partie droite et extrême-droite de l'échiquier politique. Beaucoup avaient crié que cette détestation de notre histoire était indigne d'un président de la République. Certains qui sont aujourd'hui des alliés politiques du président comme Gérald Darmanin, actuel ministre du budget et des comptes publics, Christian Estrosi, maire de Nice, avaient respectivement dit : «  Honte à Emmanuel Macron, qui insulte la France à l’étranger ! » et « il discrédite la grande histoire de France »


Pourtant dans ce dernier cas, notre actuel président, seulement candidat à l'époque, avait pourtant eu des mots forts qu'il aurait du reprendre, en sa qualité de Président de la République, dans son allocution dimanche soir pour envoyer un signal fort aux minorités issues de l'immigration post-coloniale :

«  La colonisation fait partie de l’histoire française, poursuit-il. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie. Et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes. »

Il aurait dû faire ce pas supplémentaire en présentant des excuses au nom de l'Etat Français, ce qu'aucun de ses prédécesseurs n'avait fait même s'il faut reconnaître à Nicolas Sarkozy et François Hollande des avancées significatives en la matière.

Le premier avait en effet avait condamné le système colonial, « injuste par nature »en précisant que ce système ne pouvait être vécu autrement que comme une entreprise d’asservissement et d’exploitation ». « Les fautes et les crimes du passé furent impardonnables » selon lui.

Le second avait indiqué : « Pendant cent trente-deux ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal, ce système a un nom, c’est la colonisation, et je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien ». Mais il avait refusé de « faire repentance » ou de « présenter des excuses » tout en rendant hommage aux victimes algériennes .


Alors revenons à nos statues, puisqu'hier soir, notre président a lui pris le parti du statu quo : « “Mais ce combat noble est dévoyé lorsqu’il se transforme en communautarisme, en réécriture haineuse ou fausse du passé”. “Ce combat est inacceptable lorsqu’il est récupéré par les séparatistes. Je vous le dis très clairement ce soir, mes chers compatriotes, la République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. Elle n’oubliera aucune de ses œuvres. Elle ne déboulonnera pas de statues. Nous devons plutôt lucidement regarder ensemble toute notre histoire, toutes nos mémoires, notre rapport à l’Afrique en particulier pour bâtir un présent et un avenir possible d’une rive, l’autre de la Méditerranée, avec une volonté de vérité et en aucun cas de revisiter ou de nier ce que nous sommes.”


Faut-il dès lors déboulonner des monuments qui, souvent sans la moindre explication, font survivre dans nos paysages urbains des figures du passé colonial ou esclavagiste ?

Faut-il les remplacer comme le demande depuis des années le Conseil représentatif des associations noires de France par des figures de personnalités noires, blanches ou autres, ayant lutté contre l’esclavage et contre le racisme”?


Je réponds non mais à plusieurs conditions car je ne veux surtout pas minimiser les revendications ciblant des symboles qui peuvent heurter nos concitoyens dont les aînés ont été massacré du fait de leur couleur de peau.


En premier lieu, je souhaite que des excuses officielles pour le fait colonial et l'esclavage soient présentées aux descendants par le chef de l'Etat au nom de l'Etat français dont les représentants ont pu transgresser en ces périodes révolues des valeurs aujourd'hui reconnues comme universelles par notre communauté.


Ensuite, je propose la constitution d'une commission mixte comprenant historiens français et historiens des anciens pays colonisés outre des citoyens français tirés au sort dans les départements et territoire d'outre-mer et en métropole qui aura deux missions : dans un premier temps, parmi les monuments et noms de rues existant.. établir une ligne de partage entre les symboles incontournables ou nécessaires, ceux qui supposent une sérieuse information du public, et ceux qui constituent une offense et doivent être relégués dans des musées.

Dans un second temps, établir une liste comme le suggère l'essayiste Caroline Fourest de noms, oubliés par l'Histoire, qui ont pourtant combattu, au péril de leur vie, la ségrégation, le racisme, les discriminations en général, bref « des héros et héroïnes de nouvelles émancipations » afin que l'on puisse ensuite les célébrer par l'érection de nouvelles statues,”. Certaines de ces statues pourront être élevées à côté de celles qui auront été jugées comme des symboles offensant afin de mieux contextualiser l'Histoire.

A titre d'exemple : aux côtés de la statue si décriée de Colbert, qui représente pour beaucoup l'esclavage puisque Colbert fut l’initiateur de la rédaction du Code Noir, régissant le statut des esclaves (dont l’article 44 décrit l’esclave comme une marchandise), il serait hautement symbolique d'ériger la statue anonyme ou pas d'un esclave noir qui a fait partie des 1,3 millions d'africains capturés, asservis, et transportés par la France, dans des navires depuis nos comptoirs des côtes d' Afrique occidentale jusqu'à nos colonies sur le continent américain.

Ainsi il ne s'agirait pas de détruire Colbert et par la-même Louis XIV qui a contribué à façonner notre pays mais simplement de montrer que les grands hommes ne sont pas fait d'un seul bloc comme les statues et qu'il peut y avoir un côté clair et un côté obscur.

Idem pour les frontons des écoles portant le nom du républicain Jules Ferry qui a rendu l'école gratuite laïque et obligatoire mais qui a aussi dit ouvertement que « les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieurs parce qu'il y a devoir pour elles, le devoir de civiliser les races inférieures ». Pourquoi ne pas adjoindre le nom d'un héros ou d'une héroïne de la décolonisation avec des plaques commémoratives expliquant la colonisation et la décolonisation ?


En outre, je propose là encore la réunion d'une commission mixtes composée d'historiens, de philosophes, de sociologues et de membres des ministères de l'Education nationale, de la Culture pour refonder les programmes des élèves de la primaire au lycée concernant l'histoire et l'éducation civique.

Leur mission sera de « contextualiser », d’expliquer, et surtout d'instaurer une transversalité, c'est à dire de permettre aux élèves de pouvoir entrer dans l'histoire de l'autre, d'appréhender un événement des deux côtés.

La lecture d'auteurs comme Aimé Césaire, James Baldwin, Édouard Glissant et d’autres décrypteurs de la complexité de ces époques, devra faire partie des ouvrages obligatoires à aborder au cours du cursus scolaire.


Enfin, et c'est la condition sine qua none pour empêcher le déboulonnage des statues, la guerre des mémoires, il faut mettre en œuvre une vrai politique d'égalité des chances en France, qui passe par la fin du réseautage, la fin de l'inégalité méritocratique qui transparaît des politiques de recrutements des grandes écoles, la fin de la ghettoïsation des quartiers et j'en passe.

Pour reprendre a phrase de conclusion du court-métrage-documentaire anti-colonialiste « Les staues meurent aussi » réalisé en 1953 par Chris Marker et Alain Resnais :

« Rien ne nous empêcherait d’être ensemble les héritiers de deux passés, si cette égalité se retrouvait dans le présent. »


En conclusion, le statu quo tel que semble le soutenir Emmanuel MACRON ne permettra pas à terme d'éviter la destruction de statues controversées. Pire, il entraînera bientôt une racialisation de l'Histoire qui ne correspondra plus à la réalité et sera accaparée par des groupes communautaires et identitaires, soucieux de transformer les mémoires pour mieux les dominer.

Un premier exemple de cette dérive dangereuse a été donné en mai dernier avec la destruction à Fort-de-France (Martinique), de la statue de Victor Schoelcher, promoteur de l’abolition de l’esclavage en 1848, par des militants nationalistes soucieux de mettre en avant le rôle des révoltes d’esclaves noirs dans l’abolition, plutôt que de ce député blanc.

Il faut absolument que des symboles forts interviennent et vite afin que cette transition post-coloniale vers une mémoire partagée puisse se faire dans la paix civile.

Nous devons être capables de ne pas seulement considérer le général Bugeaud comme une grande figure de l'armé impériale française mais aussi comme l'artisan de l'enfumage des paysans algériens dans des grottes murées.

Nous devons être capables de reconnaître le massacre de Sétif perpétré par l'armée française tout en reconnaissant les traumatismes physiques et psychologiques subis par les expatriés français d'Algérie.

Nous devons être capables de célébrer Mazarin, Richelieu, certains de nos rois de France en n'oubliant jamais qu'ils ont concouru à l'essor de notre pays tout en participant à la traite des Noirs qui au total et toutes puissances confondues, a abouti à la déportation de 12 millions d'hommes, de femmes et d'enfants, dont environ 15% ont trouvé la mort dans les cales des navires à destination des Amériques.

Nous devons être capables de reconnaître nos dettes envers Haïti (ancienne Saint-Domingue) compte tenu de l'injuste indemnisation des propriétaires d'esclaves expatriés tout en n'oubliant pas que des centaines de français, hommes, femmes et enfants furent massacrés entre février et mai 1804 sur cette île.


Respectons le temps, la mémoire des uns et des autres, acceptons les sensibilités des époques mais faisons le tri comme indiqué plus haut pour différencier la mauvaise spirale victimaire de l’oubli révélateur.

C'est à ce prix que l'on conservera nos statues et que l'on pourra se sentir un citoyen cosmopolite apaisé.




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