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Mon décryptage du discours présidentiel 2

La réinvention n'est pas prête...


Trois mois après mon analyse du discours d'Emmanuel Macron en date du 13 avril, je récidive suite à l'allocution télévisée du président hier soir à 20 heures.

J'ai laissé la nuit passer et me suis forcé à ne pas écouter ou lire de commentaires afin de tenter de vous livrer de la manière la plus spontanée et la moins référencée possible, ma réflexion personnelle suite à ce discours. J'ai en réalité quatre ressentis distincts :

 

Premier ressenti : une frustration teintée de ras-le-bol sur la méthode de communication

Nous sommes convoqués devant notre petit écran (expression désuète vu la taille des écrans plasma :) ) à 20 heures pour, encore une fois, nous entendre dire qu'un nouveau plan va arriver, qu'il sera discuté pendant l'été ( à l'heure où beaucoup de citoyens essaieront de relâcher la pression de la COVID en vacances) et sûrement présenté à la rentrée.

Ce teasing permanent finit par lasser car nous n'avons une fois de plus rien de concret à nous mettre sous la dent, trois mois après le discours indiquant que les choses allaient changer et que le président allait se réinventer.

Seulement des mots, que nous avons envie d'entendre comme la relance « écologique, souveraine sociale et solidaire » mais qui ne repose sur pas grand chose de précis si ce n'est l'annonce d'un programme de rénovation thermique des bâtiments et surtout le rapport de la convention citoyenne sur le climat que nous attendons avec hâte.

Idem pour la délégation de plus de pouvoirs pour les hôpitaux, les universités, les élus locaux, les corps intermédiaires, bref une sorte de révolution décentralisatrice si on l'écoute qui reste floue et qui contraste tellement avec sa façon jupitérienne de concentrer le pouvoir depuis trois ans.

Idem pour la lutte contre les discriminations, Emmanuel Macron indiquant simplement que « de nouvelles décisions fortes pour l’égalité des chances seront prises”.

En outre, ce monologue présidentiel finit par agacer car le chef de l'Etat affirme de manière péremptoire, dresse des constats personnels, sans qu'un minimum de contradictoire puisse avoir lieu, par exemple au travers de questions que pourraient lui poser des journalistes ou des citoyens, comme ses prédécesseurs avaient pu le mettre en place.

Cela lui permet d'asséner des contre-vérités ou à tout le moins des affirmations contestables : par exemple lorsqu'il dit qu'il n'y aura pas de hausse d'impôts pour financer la dette, n'oublions pas dans le même temps que la CRDS qui a augmenté pour tout le monde de 0,5% et qui devait être supprimée en 2024 a été prolongée jusqu'en 2033 ! N'oublions pas également que la taxe foncière continue d'augmenter sans considération du patrimoine des propriétaires.

Deuxième ressenti : aucun changement de modèle économique

D'un côté, comme je le soulignais ci-avant, il y a les mots qui font plaisir à savoir « reconstruction écologique, sociale et solidaire » sans axe clair, sans indication de financement et de l'autre il y a les mots de la réalité avec cette fois-ci des axes clairs : « travailler et produire davantage pour ne pas dépendre des autres ».

On pourra me taxer de subjectivisme, mais il n'empêche que j'ai entendu très distinctement le son « de travailler plus pour produire plus » qui m'indique que la politique de compétitivité va continuer à tout va. Priorité aux entreprises pour la productivité et pas de politique du pouvoir d'achat.

Je vous laisse apprécier la compatibilité de cet axe économique avec l'annonce de la relance verte et solidaire... de là à parler de social et green washing, il n'y a qu'un pas que je franchis allègrement !


Trosième ressenti : l'économie prime définitivement sur la santé

Retour à l'école et au collège pour une quinzaine de jours, sans expliquer comment mesures de distanciation, et gestes barrières vont être possibles alors que dans le même temps lycéens et universitaires restent chez eux...

Bars et cafés réouverts en Ile de France, accès open bar dans les EHPAD et aucun signal fort pour le port du masque, seule barrière efficace contre la dispersion du virus dans les endroits confinés.

Aucun chiffre sur les cas de contamination actuels, aucune allusion aux 150 clusters français, aucune évocation de la reprise des cas en Chine et dans le même temps réouverture programmée de toutes nos frontières à l'heure où la pandémie continue à sévir dans le monde.

Pour ma part, je reste sur ma précédente analyse formulée lors de son discours du 13 avril, c'est la recherche de l'immunité collective qui est recherchée derrière tous ces mots. Encore une fois c'est difficile de juger car cette option est soutenue par une majorité de françaises et de français (me semble-t-il) qui pense que la protection des plus faibles et des personnes âgées ne peut l'emporter sur le sort des actifs économiquement coulés par la crise.

Le sujet est délicat mais une communication plus explicite pour sensibiliser les gens quant à la nécessité de maintenir le masque en endroit confiné pour à terme permettre la continuation de l'activité tout en préservant in fine nos aînés et nos personnes vulnérables, m'aurait paru plus adaptée.


Quatrième ressenti : aucun signal fort n'est envoyé à la jeunesse quant aux problématiques des violences policières, du racisme et des discriminations

Le président a employé hier les poncifs habituels en la matière comme « Nous sommes une nation où chacun, quelles que soient ses origines, sa religion, doit trouver sa place » ou encore personne ne doit être discriminé en fonction « de son nom, de son adresse ou de sa couleur de peau ».

A celles et ceux qui attendaient un message fort, à la hauteur de la protestation mondiale contre le racisme et les violences policières, il a répondu d'abord de manière totalement vague en affirmant que « de nouvelles décisions fortes pour l’égalité des chances seront prises” et il s'est surtout réfugié derrière le principe théorique de la police républicaine dans un Etat de droit : « “Nous ne bâtirons pas davantage notre avenir dans le désordre, sans ordre républicain. (...) Cet ordre, ce sont les policiers et les gendarmes sur notre sol qu’ils assurent. Ils sont exposés à des risques quotidiens en notre nom. C’est pourquoi ils méritent le soutien de la puissance publique et la reconnaissance de la nation.”

Ce faisant, il a adressé un message fort de soutien aux forces de l'ordre qui vient s'ajouter à la virevolte cacophonique du Ministre de l'Intérieur après la colère des syndicats policiers.

Si je ne contredis pas dans l'absolu le principe du soutien de la puissance publique à sa police républicaine dans une démocratie, je ne peux cautionner de la part du chef de l'Etat son silence assourdissant face à des faits de violences et de racisme qui ont été publiquement dénoncés par des autorités indépendantes comme le Défenseur des droits. Quel est le massage envoyé aux minorités visibles de ce pays qui ont pu souffrir de comportements anormaux de la part de certains membre des forces de l'ordre si ce n'est un message aux limites du mépris ?

Bien entendu, le président de la République a raison de dire que des groupes séparatistes, communautaires essaient de récupérer le mouvement, de le noyauter à des fins malveillantes ? Mais c'est trop simple de réduire cette vague de protestations à l'expression d'un certain communautarisme et à ne pas affronter le débat de fond qui sous-tend ce mouvement.

Ce débat est éminemment compliqué car il renvoie à l'Histoire de France, à un passé sombre qui a épousé parfois des thèses esclavagistes et colonialistes, à la gestion de l'immigration en France et la digestion toujours pas apaisée de la décolonisation. Le chef de l'Etat se doit de l'aborder lui qui avait en 2017, à l'occasion de la période électorale, lors d'un discours en Algérie, qualifié les crimes commis en Algérie de crimes contre l'Humanité...

Il avait l'occasion hier de préciser sa pensée, de montrer à tous ces Français issus de l'immigration qu'ils étaient véritablement intégrés à la communauté en condamnant par exemple certains faits discriminatoires qui ont été objectivés par le Défenseur des droits ou en annonçant la création d'une commission composée de citoyens et d'historiens, chargée d'établir une liste de personnalités célèbres à statufier, femmes et hommes de toute origine, qui ont combattu au péril de leur vie pour mettre fin à l'esclavage, à la colonisation violente et pour assurer l'égalité des droits entre françaises et français quel que soient leur origine.

Emmanuel Macron ne l'a pas fait alors que le timing était adéquat.

A la place, il a asséné un « Je vous le dis très clairement ce soir, mes chers compatriotes, la République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. Elle n’oubliera aucune de ses œuvres. Elle ne déboulonnera pas de statues" qui doit résonner encore durement ce matin dans les oreilles des jeunes manifestants qui sont animés par des idéaux de jsutice sociale.

J'aurais l'occasion de revenir dans un post spécifique sur la problématique des statues car si je partage l'avis du président sur le non déboulonnage des statues et sur le fait que l'Histoire ne doit pas être réécrite, je soutiens en revanche la nécessité impérieuse de reconnaître notamment le fait colonial dans une démarche à la fois historienne et éducative.

Le Président a raté ce rendez-vous avec les jeunes, n'a pas coupé l'herbe sous les pieds des groupuscules identitaires qui veulent réécrire, réinterpréter a posteriori l'Histoire pour déstabiliser notre démocratie.

Je pense que cela ne va pas arranger le climat social délétère qui règne dans notre pays.


Au final vingt-minutes d'allocution pour nous dire que sa réinvention n'est pas prête (attendons le prochain discours de juillet) et malheureusement j'ai peur que les mois prochains nous confirment qu'elle en réalité pas prête..d'arriver !!!

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