Au rang des services publics dispendieux, la recherche fondamentale occupe certainement l’une des meilleures places. Elle présente cet avantage que le produit de la recherche publique est notre bien commun, alors que les résultats des recherches menées dans le privé sont la propriété des entreprises qui les ont financées.
Avant l’irruption du Covid-19 dans nos vies, le gouvernement ne préparait pas seulement la réforme des retraites, mais aussi celle de la recherche publique, au moyen du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR pour les intimes). Ce projet a réussi le tour de force de mobiliser l’ensemble de la communauté universitaire contre lui. Il a toutefois été adopté cette semaine en première lecture à l’Assemblée Nationale. Je vous en propose ici une présentation que je reconnais parcellaire, centrée sur les points qui me paraissent les plus attentatoires au principe essentiel de liberté de la recherche.
L’un des volets de la loi qui suscite les plus vives critiques est le renforcement de la contractualisation de la recherche. Il m’apparaît nécessaire d’expliquer pourquoi, ce qui nécessite un détour par quelques éclaircissements sur les mécanismes de financement de la recherche.
La recherche publique est menée, au sein des universités, dans des entités que l’on a coutume d’appeler des laboratoires, quelle que soit la discipline, et que le jargon institutionnel nomme unités de recherche. Ces unités sont financées par une dotation que l’État accorde à chaque université. Donner à chaque unité de quoi financer toutes les idées farfelues de ses membres est un gouffre abyssal, particulièrement pour les disciplines qui se targuent d’être expérimentales et nécessitent autant d’équipements que de consommables coûteux. Pour chercher mieux en dépensant moins, il apparaît judicieux de réserver l’argent aux projets porteurs. Pour réaliser cela, il suffit de créer des agences (en France l’ANR, pour Agence nationale de la recherche, au niveau européen l’ERC pour European research council pour ne citer que ces deux-là car foisonnent à leurs côtés divers instituts et fondations qui distribuent avec la plus grande parcimonie bourses et autres allocations de recherches) qui allouent des fonds sur projets, dûment sélectionnés.
Il est vrai que la contractualisation a des qualités. Dès lors que les critères de sélection sont les bons, elle pousse à élaborer un projet ambitieux et abouti avant de se lancer, elle peut permettre de décloisonner la recherche en favorisant la collaboration entre différentes équipes, différentes disciplines.
Mais elle comporte aussi quelques inconvénients.
D’une part, elle fait perdre un temps fou aux chercheurs et aux personnels des laboratoires, tant monter un projet susceptible de décrocher le graal d’un financement nécessite de mobiliser énormément d’énergie, autrement dit de temps de travail soit… d’argent public puisque le traitement du chercheur n’est pas employé à chercher dans sa discipline mais à chercher de l’argent lui permettant de mener ses recherches. Lorsqu’elle devient, comme c’est le cas pour les disciplines expérimentales, le mode principal de financement des travaux, elle est clairement contreproductive.
L’augmentation assez illusoire des fonds alloués à la recherche passent presque exclusivement, dans l’état actuel du texte, par une hausse de la dotation de l’ANR, l’objectif étant de porter le taux de succès de 20% actuellement à 30%. Là où 4 projets sur 5 à l’heure actuelle sont rejetés, nécessitant pour leurs porteurs de retenter leur chance l’année suivante pour espérer faire leur travail, ce ne serait plus que 2 sur 3. Vous apprécierez l’importance de l’effort. Sans augmentation de la dépense de dotation générale, la contractualisation ne consiste plus à accorder plus de fonds à un projet qui le mérite mais à remplacer cette dotation générale. Pire, la dotation de fonctionnement des laboratoires dépendra de ce que les chercheurs et chercheuses qui y sont rattaché.e.s auront obtenus des financements sur projet. En effet, une partie de l’argent attribué à chaque projet revient au laboratoire dont est membre celui ou celle qui a obtenu le contrat de recherche. C’est le système des préciputs avec ses conséquences négatives sur la collaboration au sein des équipes, le tout étant très bien décrit dans ce billet de blog : http://blog.educpros.fr/julien-gossa/2020/09/18/augmenter-les-preciputs-pour-davantage-de-tensions-de-base/
J’ajoute que les entreprises privées peuvent tout à fait répondre aux appels à projets de l’ANR, et capter ainsi les fonds alloués à la recherche publique, ce d’autant plus facilement qu’elles mobilisent suffisamment de personnels pour monter des projets compétitifs, là où ces personnels manquent toujours plus aux universités et aux organismes publics.
En caricaturant à peine, on pourrait dire qu’il s’agit alors de dépenser plus (l’argent de nos impôts) pour chercher moins (de solutions aux problèmes gravissimes que nous nous sommes nous-mêmes créés)… Rassurez-vous, il n’est en réalité pas question d’allouer plus de fonds à la recherche ! https://www.lemonde.fr/blog/huet/2020/06/15/la-loi-recherche-a-la-lumiere-de-la-crise-sanitaire/
D’autre part, et c’est là je crois le plus grave, la contractualisation nuit gravement à la liberté de la recherche. Sont sélectionnés les projets qui portent sur des thématiques déterminées par les agences comme pertinentes. La contractualisation, là encore lorsqu’elle devient le mode de financement principal des travaux, conduit à orienter la recherche. Il est bien sûr possible de l’orienter à des fins politiques, ou de lobbying, si l’on influence savamment les comités de sélection des projets. Il est aussi possible, par pure bêtise, de scier la branche sur laquelle on est assis, en cessant de financer des projets lorsque l’enjeu ne paraît plus être d’actualité. C’est ainsi que des équipes travaillant sur les coronavirus après les épidémies de SRAS et de MERS ont dû cesser leurs recherches lorsque les agences se sont mises à considérer que le danger était écarté. Nul besoin de vous dire que depuis quelques mois, les appels à projets sur le Covid ont fleuri. Toutes disciplines confondues, les chercheuses et chercheurs français ont été vivement encouragé.e.s – en même temps qu’ils et elles bricolaient les enseignements et les évaluations à distance avec les moyens du bord, et avant d’organiser une rentrée dans le contexte sanitaire que l’on sait sans aucune directive claire de la part de leur ministère – à abandonner séance tenante leurs travaux en cours pour se pencher assidument sur ce nouvel objet. Bien sûr, ils et elles l’ont fait, volontiers. Par curiosité intellectuelle sans doute, par volonté d’exercer leur mission d’intérêt général sûrement. Mais la recherche prend du temps. Les résultats qu’elle produira dans quelques mois seront utilisables lors de la prochaine épidémie…
Reste une garantie de la liberté de la recherche : le statut des chercheurs et des enseignants-chercheurs. Ce statut est mis en danger depuis la loi dite LRU ou encore « autonomie des universités » de 2007, portée par Valérie Pécresse, ayant orchestré l’irruption à l’université de postes de contractuels d’enseignement et de recherche. Conjuguée à la rareté des postes statutaires, cette contractualisation a accentué douloureusement la précarité des jeunes chercheurs et chercheuses, qui enchaînent déjà après l’obtention de leur doctorat ces contrats annuels dont tant la rémunération que les obligations de service varient. Le projet de loi actuel pousse encore plus loin cette logique avec la mise en place de chaires de professeur juniors pour 20% au maximum des postes ouverts (25% dans le projet, ramenés à 20 suite à un amendement adopté par l’Assemblée Nationale). Ces chaires (aussi appelées « tenure tracks à la française ») permettraient de recruter, pour une durée comprise entre 3 et 6 ans, de jeunes docteur.e.s avec en ligne de mire leur titularisation dans le corps des professeurs des universités. Cette titularisation serait fonction des performances de l’intéressé mais aussi bien évidemment de la disponibilité d’un poste… Une telle voie d’accès au corps des professeurs détricote les actuels processus de sélection, sans doute perfectibles, qui passent notamment par la qualification aux fonctions de maître de conférences ou de professeur des universités par une instance nationale (le Comité National Universitaire). Le CNU constitue sans doute, dans le contexte de rareté chronique des postes, un bien faible rempart contre le clientélisme et les batailles d’égos et de pouvoirs dans les recrutements. Il serait, avec l’adoption du projet de loi, tout simplement anéanti pour un cinquième des postes. Quant à la liberté et à l’indépendance de la personne recrutée ainsi, elle ne pourrait exister avant son hypothétique titularisation.
Pour terminer, quelques mots du processus d’élaboration de ce texte, soumis à la procédure législative accélérée (une seule lecture par chaque chambre du Parlement au lieu de deux dans la procédure ordinaire). En juin dernier, juste après la sortie du confinement, les consultations nécessaires à la présentation du texte aux députés, notamment celle du comité national de l’enseignement supérieur et de la recherche, regroupant les organisations syndicales, a été menée à marche forcée. Pour donner une idée de la pertinence de l’expression dans ce contexte, le projet et ses annexes, comptant 220 pages, a été communiqué aux dites organisations 5 jours seulement avant la réunion du comité… Comme s’il était de toute première importance que le texte puisse être présenté au Parlement dès l’automne.
Je n’ose croire que l’objectif était de compter sur la démobilisation des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche due à la désorganisation du fonctionnement des établissements en raison du contexte sanitaire. Il me paraît en outre impensable que le silence assourdissant du ministère, laissant les établissements gérer cette crise dans la plus grande solitude, emportant une très grande hétérogénéité dans les conditions d’accueil des étudiants et étudiantes d’un établissement à l’autre en cette rentrée ait eu vocation à accentuer cette démobilisation ou à décrédibiliser le système universitaire dans son ensemble aux yeux de la population. Pour autant, je ne peux m’empêcher de partager mon inquiétude…
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