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Le nouveau projet populiste du Garde des Sceaux : vers une BFMisation de la justice


Rien n'arrête en ce moment le Garde des Sceaux dans sa course contre la montre pour "réformer" l'institution judiciaire d'ici la fin du quinquennat.

Chacun donnera le sens qu'il veut au verbe réformer mais pour ma part je concède ici l'utilisation d'une sémantique qui se veut ironique et qui vise à stigmatiser une annonce supplémentaire du GDS pour déstabiliser l'institution judiciaire.

Après avoir vilipendé l'entre-soi des magistrats, dénoncé leur corporatisme, nommé une avocate à la tête de leur école d'application (internationalement reconnue) pour la transformer, engagé une procédure disciplinaire à l'égard de trois magistrats du Parquet National Financier nonobstant les conclusions d'une enquête de l'Inspection Générale de la Justice ne pointant aucun dysfonctionnement dans l'enquête préliminaire conduite en marge de l'affaire des écoutes téléphoniques de Nicolas Sarkozy et de son conseil Maître Thierry Herzog (affaire Paul Bismuth), EDM tire une nouvelle torpille en direction de l'institution judiciaire. Il veut avant la fin du quinquennat "une justice totalement filmée et diffusée" Dans un entretien au Parisien ce dimanche 27 septembre, il se justifie en invoquant "un souhait de transparence du processus juridique" ajoutant que "la publicité des débats est une garantie démocratique".


J'évoquais hier sur ce blog la notion de populisme pénal en pointant les réformes de l'amende forfaitaire pour les stupéfiants et la création de nouveaux juges de proximité chargés de traiter les incivilités du quotidien.

La nouvelle sortie d'EDM est à ranger cette fois dans la catégorie simplement populiste.

Le populisme est une attitude politique qui consiste à s'appuyer sur le peuple contre les élites, à bâtir un discours sur l'émotion plutôt que sur la raison, à faire appel aux sentiments du peuple en essayant de toucher, de créer une vive émotion qui masquera la vacuité du fond d'un discours. A tout problème politique nécessairement complexe, le populiste oppose une solution simple, simpliste, unique dont la majorité du peuple pourra se saisir facilement, sans trop développer son sens critique.

De quoi parle-t-on au juste ? De donner les moyens à la Justice de faire son travail correctement en la renforçant, de redorer la crédibilité de cette institution auprès des citoyens ou de continuer à piétiner et décrédibiliser les magistrats auprès du peuple français ?

Filmer les procès en vue de leur diffusion aux citoyens, est-il l'unique moyen pour que la "justice se montre aux Français" pour reprendre les termes d'EDM ?

Bien sûr que non, et vous aurez compris le sens de mes tournures interrogatives.

La nouvelle annonce du GDS n'est qu'une provocation supplémentaire dans son entreprise de déstabilisation de l'institution judiciaire et dans sa volonté de discréditer les magistrats auprès des citoyens.

Plusieurs motifs au soutien de mon propos peu amène envers le ministre de la Justice :


- la publicité de la Justice existe depuis des siècles, elle est garantie par la loi (cf l'article 306 du Code de procédure pénale pour les juridictions pénales), par la Convention Européenne des Droits de l'Homme dans son article 6-1 et a été consacré l'an dernier par le Conseil Constitutionnel dans une décision historique du 21 mars 2019 s'agissant des juridictions civiles et administratives.

La publicité des débats est effectivement une garantie démocratique, Monsieur le Garde des Sceaux, mais il n'y pas besoin de caméras pour l'assurer. Chaque citoyen peut assister à un procès et être témoin de la teneur des débats.


- en réalité EDM sait bien que cette mesure est juridiquement impossible car attentatoire à la sérénité des débats et à la vie privée des gens. Le Conseil Constitutionnel a eu l'occasion de le rappeler dans une décision de 2019 en mentionnant que l'interdiction de procéder à la captation d'images et d'enregistrements lors de procès et de les diffuser, était "nécessaire" pour garantir la sérénité des débats et prévenir toute atteinte à la vie privée.

Seule exception à la loi, quand l'enregistrement du procès présente "un intérêt pour la constitution d'archives historiques de la justice". Le procès des attentats de 2015, qui se tient à Paris depuis septembre, est ainsi filmé - une première en matière de terrorisme.

Je précise pour être complet que le Conseil Constitutionnel a estimé dans sa décision précitée que l'évolution technologique était susceptible de donner à la diffusion d'images un "retentissement important qui amplifie le risque" de porter atteinte à la sérénité des débats, au respect de la vie privée, à la sécurité des acteurs judiciaires ou à la présomption d'innocence de la personne poursuivie.

Enfin, un peu de bon sens quand même.

Imagine-t-on des procès diffusés sur des chaînes comme BFM ou CNEWS, où le téléspectateur devient plus voyeur que témoin, où les magistrats, avocats et justiciables n'ont plus de droit à l'image, où les débats font ensuite l'objet de commentaires de la part de la kyrielle de consultants qui se disent spécialistes de la justice sans avoir jamais fait d'études de droit ou sans avoir jamais mis les pieds dans un tribunal ?

Imagine-t-on les acteurs d'un procès venir se répandre sur la plateau de Cyril Hanouna et devenir malgré eux les acteurs d'une sorte de mini-série proche de "plus belle la vie" ?


- enfin dernier motif, le coût que représenterait la dotation des juridictions en équipement audio-visuel quand on sait que des services sont dépourvus d'imprimantes, que des juridictions rament pour avoir un poste de visio-conférence, que le parc informatique des tribunaux date de la Préhistoire... Non, ce n'est pas envisageable à moins d'utiliser les 8% d'augmentation du budget de la Justice, promis par le Premier Ministre, à cette seule fin.


J'en arrête là pour les arguments tendant à vous convaincre du populisme d'EDM tel qu'il ressort de cette nouvelle annonce farfelue.

Je vous renvoie pour conclure à la chronique du jour de Sophia ARAM sur France Inter (https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-sophia-aram) et pour la plagier je dirais que EDM, comme la société française, est en train "de se barrer en sucette"


Bonne soirée


James


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