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Le mythe de l'égalité des chances et le spectre de la révolution

Lettre à Monsieur le Président de la République (3ème partie)


Monsieur le Président,

J'avais conclu ma dernière missive en vous alertant sur les menaces guettant notre République si le système technocratique et népotique en place avait vocation à perdurer en France.

J'ai depuis appris l'existence de la "France China Foundation", fondation qui rassemble chaque année des "jeunes" de ces deux pays, considérés comme des personnalités d'avenir, notamment en politique.

De la bouche-même de l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, "ce programme élitiste rassemble de jeunes Français brillants capables de faire du réseau avec de jeunes chinois brillants". Comme vous le savez, cette fondation a été créée en 2013 par Emmanuel Lenain, ancien consul de France à Shanghaï, (devenu par la suite conseiller diplomatique d'Edouard Philippe puis ambassadeur en Inde), deux investisseurs financiers Nicolas Macquin et Arnaud Ventura, une écrivaine chinoise Shan Sha, avec le soutien de Laurent Fabius, ancien ministre des affaires étrangères de l'époque.

Ce programme est par ailleurs financé par des mécènes privés comme AXA, ACCOR, LAZARD et d'autres.

Monsieur le Président, je vais vous faire un aveu, lorsque j'ai découvert l'existence de ce réseau à travers l'article du Monde (cf premier lien), j'ai été effaré par deux choses :


- d'abord par le nombre incroyable de personnalités politiques et d'hommes d'affaires de premier plan qui sont avec vous aux commandes aujourd'hui après avoir fréquenté cette fondation : entre autres, Edouard Philippe, votre premier ministre, Franck Riester, votre ministre de la culture, Benoît Ribadeau-Dumas, directeur de cabinet d'Edouard Philippe, Laurent Vallée, secrétaire général du groupe Carrefour, Pierre Hudry, haut dirigeant de Goldman Sachs, Sibyle Veil et Mathieu Gallet, patrons de Radio France, Aurélien Lechevallier, votre ex conseiller diplomatique aujourd'hui ambassadeur en Afrique du Sud, Brune Poirson, votre secrétaire d'Etat auprès du Ministère de la Transition écologique et solidaire, Agnès Pannier-Runacher, votre secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie, Olivier Véran, votre ministre de la Santé...etc...


- ensuite par le ton totalement décomplexé des personnes interviewées dans cet article, qui montre ô combien ce système de réseautage, de cooptation, de préemption apparaît normal à nos élites et ne leur pose aucun problème de conscience.

Je vous cite le député socialiste Jérôme Guedj recruté avec son ami Edouard Philippe dans la première promotion 2013 : " un futur premier ministre de droite et un député socialiste frondeur dans le même cercle, ça ravive le fantasme de l'entre-soi". Il rajoute encore que cette fondation est "un réseau puissant" où "se fabrique de l'influence".

Je vous cite également le président de la fondation , le financier Nicolas Macquin : "en France si on fait l'ENA et si on est intéressé par la politique, on a des chances de travailler en cabinet ou d'avoir un jour un ministère".

Je vous cite encore Yorgo Tloupas, directeur artistique : " si je devais faire du business en Chine, je passerais par la fondation, c'est un réseau formidable".

Je vous cite le député européen LR Arnaud Danjean : "c'est du networking, un truc un peu mondain".

Et je termine par vos amis Aurélien Lechevallier et Mathieu Gallet qui évoquent la gala de la fondation organisé les trois dernières années, successivement à l'hôtel de Lassay à Paris, au château de Versailles et à Beaubourg : "il y a tous les gens qui comptent à Paris", "un événement business et mondain, avec la cour et la ville".


Monsieur le Président, ce programme élitiste qui semble ne déranger personne en France, me saisit totalement pour ne pas dire me glace. Outre le fait qu'il offre aux Chinois un accès privilégié à des responsables politiques de haut niveau et à des PDG français dans des secteurs stratégiques, il symbolise surtout la culture de l'entre-soi que j'ai dénoncée dans ma lettre précédente et le dévoiement complet de la notion de méritocratie que vous défendez.

Ma réaction n'est ni poujadiste ni anti-élite, elle reflète simplement le constat amer qu'au 21ème siècle, en France, malgré toutes vos déclarations d'intention, l'égalité des chances reste un mythe et la méritocratie une illusion.

Pour vous en convaincre, je m'appui sur les considérations de la philosophe Chantal Jacquet que j'ai pu écouter à l'occasion d'un fabuleux reportage réalisé par Infrarouge et diffusé par France 2 (cf second lien), au sujet des "transclasses", c'est à dire ces gens qui ont déjoué les règles de la reproduction sociale et travaillent dans un autre milieu, nimbé de prestige car perçu comme le monde « d’en haut », par rapport à celui de leurs origines, populaires et/ou immigrée.

La philosophe a cette phrase géniale : "la porte est étroite, n'est pas grande ouverte ; pour un individu qui s'en sort, il y a une infinité de petits Mozart assassinés"

Qu'est-ce que le mérite aujourd'hui en France dans la plupart des cas si ce n'est avoir grandi dans un milieu où l'on nous a expliqué pourquoi il fallait faire des efforts, travailler, pourquoi la culture c'est important, pourquoi il faut lire, visiter des musées.

Le mérite c'est en réalité avoir un réseau, de l'entregent, obtenir les bons stages au bon moment, et à la fin s'être constitué un dossier parfait à présenter dans des grandes écoles ou dans une université.


Monsieur le Président, notre ordre social n'est pas juste et vous le savez. La classe dominante en est tellement consciente qu'elle a créé, entretenu de façon limitée le phénomène des transclasses. Elle laisse filtrer quelques transclasses pour donner l'impression aux gens que l'ordre social est juste, que celui qui est méritant, celui qui veut s'en donner la peine peut y arriver et se constituer un capital économique et culturel satisfaisant.

Cette idéologie que vous partagez avec l'ensemble de vos prédécesseurs, est pernicieuse car elle laisse à penser à beaucoup de Français que ceux qui vivent aujourd'hui dans une situation de misère économique, sociale et culturelle en sont responsables car il ne s'en sont pas donné la peine.


Monsieur le Président, je ne suis pas un apôtre de la révolution et à vrai dire je ne crois pas forcément en la révolution politique qui est le renversement d'un ordre social par un autre qui reproduit à terme le même schéma que celui qu'il a renversé. Notre histoire l'a bien montré avec la noblesse et la bourgeoisie.

Mais le fait est que notre pays est au bord d'une révolution. Vous en avez eu un avant-goût avec le mouvement des gilets jaunes qui a semé le chaos pendant plusieurs mois entre 2018 et 2019. Vous avez eu de la chance que cette révolte ne soit pas bien structurée et biaisée par des comportements poujadistes et anarchistes mais au départ elle est l'explosion légitime d'une classe moyenne qui est s'est paupérisée et qui ne peut plus finir le mois en mangeant à sa faim. Elle aussi une dénonciation populaire et de bon sens d'un fossé trop important qui existe entre la classe dominante et les autres. Elle est enfin la traduction concrète d'une défiance absolue du peuple envers ses élites.

Les racines de la révolte sont toujours là, et elles ont encore grandi avec la crise sanitaire qui a multiplié le nombre de nos concitoyens en situation de misère sociale.

La crise sociale qui a désormais pris le relai à base de licenciements de masse, de liquidations judiciaires, d'épuisement des travailleurs en première ligne pendant le confinement qui ne sont pas justement récompensés, augure de lendemains difficiles qui sentent la poudre.

La crise politique qui risque de se greffer par-dessus quand la commission d'enquête parlementaire sur les masques et le traitement de la crise sanitaire par le gouvernement aura rendu son rapport, pourrait avoir des conséquences dramatiques à court terme sur notre démocratie.


Je crains Monsieur le Président que l'heure ne soit pas à la préparation de votre réélection en 2022, le mal est trop profond et les mauvais signaux que vous envoyez n'aident pas. Les Français ne sont plus dupes et savent qu'un remaniement est dans les tuyaux, que le greenwashing et le socialwashing vont être mis en oeuvre pour leur faire croire que vous tenez compte de leurs aspirations.

Au sein de la société civile, de plus en plus de citoyens des classes supérieures appellent à la désobéissance civile face à l'urgence climatique et environnementale.

Ils pensent que votre gouvernement se rend complice de cette situation en négligeant le principe de précaution et en ne reconnaissant pas qu’une croissance infinie sur une planète aux ressources finies est tout simplement une impasse. Ils remettent en cause la politique française actuelle en matière climatique et de protection de la biodiversité, qui est très loin d’être à la hauteur des enjeux et de l’urgence auxquels la planète fait face.

Ils regrettent que vous continuiez à opposer écologie et justice sociale,et admettent que le mouvement des « gilets jaunes » a dénoncé à juste titre l’inconséquence et l’hypocrisie de politiques qui voudraient d’un côté imposer la sobriété aux citoyens tout en promouvant de l’autre un consumérisme débridé et un libéralisme économique inégalitaire et prédateur.

Si vous n'êtes pas convaincu par mes propos, relisez l'appel lancé par 1.000 scientifiques intitulé « Face à la crise écologique, la rébellion est nécessaire », et publié par le journal Le Monde le 5 février 2020.

Voici ce que concluent en substance ces scientifiques :

« En conséquence, nous appelons les citoyens à participer aux actions de désobéissance civile menées parles mouvements écologistes, qu’ils soient historiques (Amis de la Terre, Attac, Confédération paysanne,Greenpeace...) ou formés plus récemment (Action non-violente COP21, Extinction Rebellion, Youth forClimate...).

Nous invitons tous les citoyens, y compris nos collègues scientifiques, à se mobiliser pour exiger des actes de la part de nos dirigeants politiques et pour changer le système par le bas dès aujourd’hui. En agissant individuellement, en se rassemblant au niveau professionnel ou citoyen local (par exemple en comités de quartier), ou en rejoignant les associations ou mouvements existants (Alternatiba, Villes en transition, Alternatives territoriales...), des marges de manœuvre se dégageront pour faire sauter les

verrous et développer des alternatives.

Nous demandons par ailleurs aux pouvoirs publics de dire la vérité concernant la gravité et l’urgence de la situation : notre mode de vie actuel et la croissance économique ne sont pas compatibles avec la limitation du dérèglement climatique à des niveaux acceptables. »


Oui Monsieur le Président le climat est bel et bien insurrectionnel, il est vraiment urgent d'agir et de vous réinventer pour sauver la République. Elle est durement fragilisée et les forces de l'ordre sont épuisées par l'enchaînement, au cours des dernières années, des attentats terroristes et des mouvements sociaux à répétition.

Elles pourront certainement contenir des manifestations qui débordent en recourant malheureusement et parfois à des actions violentes mal contrôlées.

Mais elles ne pourront pas éteindre le feu de la contestation sociale qui repose sur les braises incandescentes des revendications sociales et environnementales des citoyens.

L'Etat a le monopole de la violence légitime, mais cette violence peut-elle être encore qualifiée de légitime lorsque des contestataires aspirent simplement à ce que des millions de leurs concitoyens puissent manger normalement, vivre décemment en habitant sur une planète respirable ?

Je suis un fidèle partisan de l'Etat de droit, un serviteur de la Loi mais je suis aussi et avant tout un citoyen du monde qui ne peut rester insensible au malaise social profond qui touche notre pays depuis des années.

J'ai eu la chance de bénéficier d'une éducation démocratique, tolérante ,non-violente qui me permet d'avoir aujourd'hui le recul nécessaire pour adapter ma réaction. J'écris sur ce blog pour réveiller les consciences et changer les mentalités.

D'autres n'ont pas eu les mêmes privilèges que moi et expriment leur colère de façon plus radicale pour obtenir un changement. Je ne suis pas sûr de les rallier à la cause républicaine si vous continuez à incarner cette gouvernance du monde d'en haut...et leur révolution risque fort d'être récupérée par une des deux têtes blondes du Renouveau national.

A bon entendeur.


Respectueusement

James

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