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Le grand méchant loup n’est pas celui qu’on croit !

Dernière mise à jour : 17 juin 2020


Il ne fait pas bon être un grand prédateur aujourd’hui en France. Braconnage des lynx, projet d’effachourement des ours dans les Pyrénées, pêche régulière de requins à La Réunion, Plan Loup … pourtant, ces animaux sont, directement ou indirectement protégés.

Qu’appelle-t-on un grand prédateur ? Les animaux qui dans la chaîne alimentaire n’ont pas de prédateur, comme, en France, le loup, le lynx, l’ours brun, le requin.

Nous avons développé une crainte génétique et culturelle envers ces animaux. Génétique car nous avons hérité des Homo sapienset des hommes de Neandertal l’idée que les animaux gros, rapides et aux grandes dents mettent en danger notre intégrité physique. Culturelle car des films comme Les dents de la merde Steven Spielberg (1975) ou des livres comme Les Mangeurs d'hommes de Tsavo de John Henry Patterson (1907) ont intensifié cette crainte innée et ancré l’idée que les animaux sauvages allaient attaquer si on ne s’en débarrassait pas de manière préventive.

Un scandale à la fois : arrêtons nous ici sur le cas du loup (pourquoi pas ensuite des textes pour parler ours, lynx, mais aussi vautours fauves, ou encore blaireaux, putois et renards, tant d’animaux jugés « nuisibles » et ainsi condamnés à être éliminés, la plupart du temps dans d’atroces souffrances, par des chasseurs autoproclamés « premiers écologistes de France »). Parmi les grands prédateurs, le loup a sans doute la plus mauvaise image : c’est le loup des contes, fourbe et cruel, qui croque les enfants, le loup mangeur d’hommes. Les loups ont cependant plus mangé de cadavres que tué d’hommes, particulièrement pendant les guerres, comme celle de Cent Ans ou les conflits napoléoniens. C’est à ce moment qu’a été forgée cette réputation du loup mangeur d’hommes. L’historien Jean-Marc Moriceau ne dénombre pourtant en France que 1 100 agressions mortelles en quatre siècles, entre la Renaissance et la fin de la première guerre mondiale. Cela donne une moyenne de trois décès par an. Aujourd’hui, les attaques contre des hommes sont extrêmement rares dans le monde - et inexistantes en France depuis le retour du loup en 1992. Il est peut-être utile de rappeler ici que les grands prédateurs ne dévorent pas les hommes qu’ils tuent (le plus souvent car ils se sentent attaqués) : notre viande n’est pas à leur goût (alimentation, mode de vie sédentaire).

Dès le début des années 1990, des spécialistes italiens alertent la direction du Parc National du Mercantour de l’arrivée imminente du loup (les opposants au loup continuent pourtant de marteler que le loup a été réintroduit en France, allant même jusqu’à exposer la voiture utilisée pour cela, poils de loup dans le coffre comme preuve irréfutable). Le dynamisme de la colonisation est surprenant : dès 1997, les loups fréquentent le Plateau de Canjuers (Var), le massif du Queyras et les Hautes-Alpes. En 1998-1999, leur présence est attestée dans les Monges (Alpes-de-Haute-Provence), puis dans les massifs du Vercors et de Belledonne. De 2000 à 2003, le loup est présent dans les Préalpes de Grasse, en Maurienne et dans le Bugey (Ain). Sa présence est même attestée dans les Pyrénées-Orientaleset ces derniers mois en Charente-Maritime (2019).

En 2018, le chiffre de 360 loups est évoqué pour la France, avec une progression estimée à 500 individus pour 2023 - seuil de viabilité de l’espèce. En 2019 cependant, la population est estimée à 530 loups. Les derniers chiffres estiment à 12 000 le nombre de brebis tuées par les loups (sachant que le loup attaque aussi d’autres animaux : vaches, chevaux, etc.). Les attaques sont les plus nombreuses dans les Alpes (en corrélation avec le nombre d’individus), mais cependant, toutes causes confondues (chiens, maladies, foudre, dérochements de rochers), on estime à 46 000 chaque année le nombre de moutons tués ou perdus à l’échelle des seules Alpes françaises sur un total de 850 000 bêtes (et environ 400 000 au niveau national sur un total de 9 millions).

Pourquoi le loup est-il alors aussi violemment pointé du doigt ? Le loup est certes, une contrainte de plus pour les éleveurs et les bergers mais il ne représente pas une menace économique pour l’élevage ovin qui doit faire face à des difficultés bien plus importantes :

- D’abord, le contexte économique : la filière ovine, confrontée à la mondialisation des marchés et à la baisse régulière des cours de la viande, connaît une véritable récession. Les éleveurs français subissent une très forte concurrence de la Nouvelle-Zélande et de la Grande-Bretagne (celle-ci compte 40 millions de moutons contre 9 millions pour la France). La production française est en baisse depuis 20 ans et ne couvre plus que 40 % de la consommation totale de viande d’agneau (60 % de la consommation nationale sont donc importés). Sans les primes, qui représentent plus de la moitié du revenu des éleveurs, l’élevage ovin ne serait plus rentable.

- Ensuite, le contexte sanitaire : s’il est vrai qu’en 5 ans, de 1993 à 1997, la mort de 5000 brebis a été imputée au loup, les maladies ont provoqué bien plus de dégâts dans les troupeaux : durant cette période, la brucellose ovine (maladie transmissible à l’homme) a occasionné l’abattage de 50 612 moutons contaminés dans la région PACA (les chiffres de cette maladie ne sont plus publiés, c’est pourquoi, il n’y a pas de données actualisées). Le traitement de cette maladie a un coût pour la collectivité : 43,5 millions de francs en 1996. Les brebis abattues sont remboursées 64 € à l’éleveur. En cas d’attaque de loup, la moyenne des indemnisations est de 155 € par animal. La brucellose n’est pas la seule maladie de l’élevage, on peut aussi citer la tremblante ou l’agalactie contagieuse (4 500 brebis abattues en 1993 dans les Pyrénées), ou encore la langue bleue.

- Enfin, les chiens errants : le problème posé aux troupeaux - et à la faune sauvage - par les chiens en divagation est permanent et propre à toutes les régions. G. Joncour estime à 100 000 le nombre de moutons tués chaque année par des chiens avant le retour du loup en France. Cependant, la façon d’estimer l’impact du loup, comparativement à celui des chiens, est influencé par l’imaginaire, l’inconscient collectif et la relation à la nature. L’exemple des morsures de chiens est significatif de cette différence d’appréciation : la France enregistre chaque année, en moyenne, 200 000 cas de morsures de chiens (et parfois des décès).

La présence du loup est donc dénoncée car il cause des dégâts sur les troupeaux. Le débat devrait cependant s’arrêter là car le loup est une espèce protégée : il est théoriquement interdit de le tuer. C’est le droit international qui protège les grands prédateurs en France. Depuis la première convention internationale de protection de la nature en 1902 (sur les oiseaux « utiles à l’agriculture ») beaucoup de chemin a été parcouru. Dans les années 1980, une Résolution de l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies reconnaissait que toute forme de vie est unique et mérite d'être respectée, quelle que soit son utilité pour l’homme (Convention de Berne). Cette convention a ensuite été renforcée par la directive Habitat de 1992.Le droit communautaire est beaucoup plus contraignant que le droit français. Si bien que la France est par exemple régulièrement dénoncée et condamnée par la commission européenne car elle ne protège pas assez les ours bruns.

Signataire de la Convention de Berne, la France est pourtant le pays du Plan Loup. Depuis quelques années, la situation en France a évolué en faveur d'une « régulation » de plus en plus poussée des effectifs dérogeant ainsi au statut d’espèce protégée. Afin de contenter les organisations professionnelles agricoles, certains élus des Alpes avaient déjà obtenu des pouvoirs publics l’élimination de quatre loups en 2004 et de six en 2005. Ce « quota de tir » est destiné à obtenir la paix sociale avec le monde des éleveurs. Ces tirs aléatoires n'ont cependant eu aucun impact sur les dégâts causés par les loups.En 2013, le ministère de l’agriculture et le ministère de l’écologie présentent le Plan Loup pour 2013-2017. La gestion des loups est désormais différenciéeselon les régions, en fonction des pratiques d’élevage et des risques d’attaques. Le plan assouplit les procédures administratives permettant aux éleveurs de pratiquer des tirs et simplifier les indemnisations après des attaques. De nouvelles modalités de calculpermettront d’augmenter régulièrement le nombre de loups pouvant être abattus chaque année. Pour 2012-2013, le chiffre a ainsi été fixé à 11. En 2013, le chiffre a été fixé à 24. En 2016, le plafond a été fixé à 36 loups, comme en 2015. Nouveauté en 2016 : les individus tués étaient souvent des jeunes (atteinte à la future reproduction de l’espèce). En 2018, le plan Loup a fixé le plafond à 50 individus par an. En 2019, au salon de l’agriculture, le président de la République E. Macron promet d’élever les plafonds à 100 loups par an, du fait de la croissance de la population de loups en France, et il le fait (contrairement d’ailleurs à ses promesses de campagne en faveur de la protection de la biodiversité). Un rapport de 2017 montrait pourtant que les tirs de loups mettent en danger la pérennité de l’espèce en France : c’est encore plus la cas actuellement. Le seuil de la viabilité de l’espèce calculé par les scientifiques étant de 2 500 loups. En 2020, pendant le confinement, deux louves gestantes ont été éliminées (or, les louves alpha sont les seules à se reproduire au sein d’une meute).

Le plan avait également pour ambition d’éduquer le loup, en le détournant des troupeaux (capturer des loups pour leur faire peur, leur faire comprendre - le loup est animal extrêmement intelligent - qu’ils ne doivent pas attaquer les moutons) : cependant, tous les scientifiques le disent : un loup mort est un loup inutile car il n’apprendra rien à la meute. Tirs de loups et éducation sont donc incompatibles, sauf si on reste à des tirs de défense, non mortels pour l’animal.

A chaque attaque de loup, la présence de l’animal en France est remise en cause par certains élus, comme en 2015, par Christian Estrosi (grand opposant au loup), suite à une attaque dans les Alpes Maritimes : « Il est temps de constater l’incompatibilité entre la présence de ce grand prédateur et l'activité humaine sur notre territoire ! ». Un autre exemple de récupération politique de la question des grands prédateurs : l’appel de José Bové en 2012 (il est alors député européen !) aux éleveurs du Larzac : « tirez les loups ! ». Dans ces déclarations, il n’y a ni réflexion écologique, ni réflexion citoyenne, seulement une démagogie profonde visant à récolter des voix supplémentaires aux élections.

Les problèmes de l’élevage sont, nous l’avons vu, bien plus profonds que la seule présence du loup en France. Les éleveurs reçoivent des subventions agricoles depuis les années 1960. Mais nombre d’entre eux supportent mal de recevoir de l’argent « des prédateurs », ils ont là un ennemi concret. Avec le loup, c’est bien souvent l’extérieur qui est stigmatisé et caricaturé : les « écolos », Paris, Bruxelles, laPolitique agricole commune.Mais en fait le loup, comme les autres grands prédateurs, incarne des peurs légitimes qui ont davantage trait aux évolutions des sociétés rurales françaises. La montagne a connu la même évolution culturelle que le reste de la France urbaine et rurale. De la représentation de l’espace aux modes de vie, les populations dites rurales ont changé et se rapprochent fortement des populations urbaines. La campagne est devenue surtout un lieu de vie plus qu’un lieu de production. Les activités principales concernent désormais le tourisme et les services. Les Français, urbains et ruraux, témoignent d’un fort attachement à la campagne, à la nature, à l’environnement. Mais ces évolutions, accompagnées d’un changement de l’occupation de l’espace, heurtent certains groupes, comme les agriculteurs, maintenant minoritaires en campagne et en montagne.

La question du loup est aujourd’hui hyperconflictuelle en France, même si peu connue du grand public. Le loup, comme l’ours ou le requin, est devenu un animal géopolitique (cf. les travaux de Farid Benhammou, auteur de la thèse « Crier au loup pour avoir la peau de l’ours. Une géopolitique locale de l’environnement à travers la gestion et la conservation des grands prédateurs en France », soutenue en 2007). On parle parfois de « guerre du loup », de la même façon que l’on a parlé de « guerre de l’ours », et le terme n’est pas trop fort. Cette guerre du loup oppose farouchement des partisans de la conservation aux détracteurs de cette espèce, et cela à différentes échelles (communale, cantonale, régionale, nationale et internationale). Chaque force en présence, pro-loup / anti-loup pour faire simple, tente de manier à son avantage les représentations individuelles et collectives. Par le biais des médias, pour séduire l’opinion publique, chaque acteur se met en position de victime ou met en scène ses thématiques mobilisatrices mais antagonistes : perte de biodiversité, disparition du pastoralisme, déshumanisation de la montagne, peurs ancestrales.La presse n’hésite pas à utiliser dans ses titres et ses Unes un vocabulaire alarmiste (un exemple : « Ce loup qui terrorise le sud de la Lorraine », Le Républicain Lorrain, 2016) ou guerrier, souvent bien moins pondéré que le contenu des articles. Dans l’ensemble, les médias ont du mal à rendre compte des rapports de force fluctuants entre les camps, en lien direct avec le terrain.

De plus, si l’opposition aux prédateurs est une réalité, notamment dans le monde de l’élevage, elle n’est pas unanime (et peu d’articles en parlent). Localement l’ambiance n’est pas propice au débat, à la concertation et les personnes favorables au loup peuvent subir de fortes pressions dans les vallées. Dans ces territoires peu peuplés, les opinions de chacun sont vite connues. Les éleveurs acceptant, de manière pragmatique, les mesures de protection de leurs troupeaux sont considérés comme des traîtres et parfois la cible de violences sociales (exclusion de certains pâturages) voire physiques. En 2016 par exemple, Télérama donne des nouvelles d’un berger du Haut-Languedoc, Alex Soulé, favorable à la présence du loup dont le portrait avait été publié quelques mois plus tôt : suite à l’article, son ânesse et son petit ont été empoisonnés.

Il est temps de sortir de cette opposition pro-loup / anti-loup et d’entamer un dialogue constructif, ce que tente par exemple l’association FERUS, en aidant des éleveurs à s’équiper en dispositifs de protection.

Il est temps aussi de respecter les textes de protection de la nature dont la France est signataire (même si plusieurs élus pratiquent un lobby intense pour faire « sortir » le loup de la Convention de Berne).

La seule solution est d’apprendre à vivre avec le loup. Des solutions sont à chercher vers une meilleure indemnisation des éleveurs, le financement et le recrutement de contrats aidés pour davantage protéger les troupeaux. Un énorme enjeu concerne le prix de la viande. Un autre concerne l’image même du loup, peu connu, craint et mal aimé.

Qui a peur du grand méchant loup ? Pas moi, car il n’existe pas.

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