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L'échec de la République macronienne : technocratie népotique et pouvoir jupitérien

Lettre à Monsieur le Président de la République (2ème partie)


Monsieur le Président,


Comme promis dans ma première missive, je reviens vers vous pour vous exposer une modeste analyse sur les raisons qui fondent, selon moi, l'échec du modèle de République que vous voulez construire dans le pays.

Je remonte quelque peu dans le temps en 2017, lors de votre élection, et me souviens que lors de mon vote au second tour, j'ai voulu, en plus de faire barrage au Rassemblement National, encourager votre idée de faire participer, de manière effective, la société civile à la chose publique ("res publica").

Votre volonté alors de casser les lignes, de briser le clivage traditionnel droite-gauche, d'en finir avec la conception purement politicienne de la politique avait trouvé un écho en moi, même si je n'étais pas dupe du caractère quelque peu opportuniste de votre démarche. Néanmoins, et comme beaucoup de Français j'imagine, ce côté à la fois audacieux, nouveau et très volontariste m'a conforté dans mon choix démocratique au moment du vote.

Trois ans plus tard, je constate malheureusement que votre République en marche n'a pas avancé par rapport à celle de vos prédécesseurs.

Pourquoi ?

Si je m'extraie de tous les commentaires politiques et journalistiques qui ne cessent de juger votre méthode, je dirais que la principale raison à cet immobilisme que je ressens, est votre culture de "l'entre-soi".

Je m'explique. J'ai consulté avant-hier le site de l'Elysée et le CV de tous vos conseillers (de Alexis Kohler à Ismaël Emelien en passant par Stéphane Séjourné, Sophie Ferraci, Julien de Normadie, Cédric O, Quentin Lafay ..etc), et une constante éclatante en ressort : quasiment tous sont des technocrates, issus de l'ENA ou de Sciences Politiques, que vous avez croisé soit dans votre cursus, soit lors de vos précédentes fonctions à la banque Rotschild et à Bercy.

Et c'est avec cette garde rapprochée plus quelques fidèles politiques comme Richard Ferrand, Christophe Castaner, François Bayrou (allié souterrain) et plusieurs économistes sociaux-libéraux que vous tentez de réformer la France.

Si je comprends que vos fonctions présidentielles exigent un cercle rapproché de confiance et ne vous fais pas le grief de vous entourer d'amis, je réfute en revanche deux principes sur lesquels vous vous appuyez pour diriger le pays :


1) "the best men at the right place"

Vous pensez que les principales décisions qui concernent la gestion du pays doivent être prises par l'élite des grandes écoles françaises.

C'est pour moi une erreur fondamentale qui aboutit à faire de la France une technocratie au lieu d'être une démocratie.

La crise du coronavirus que l'on traverse a montré les limites de votre système, l'étendue des failles des "best men", de ce "Pouvoir prétentieux"(pour reprendre l'expression du philosophe Marcel Gauchet), c'est à dire qui prétend tout connaître et tout contrôler. L'absence d'anticipation du phénomème épidémique que l'on retrouve à la fois dans la polémique des masques mais aussi dans le restructuration technocratique de l'hôpital public constitue selon moi la manifestation éclatante de l'échec de votre conception du pouvoir. Ces sont "les petites mains" en lien avec la réalité du terrain qui nous ont sauvé : soignants, maires, pompiers, ambulanciers, chercheurs, épistémologistes, couturières, membres des secteurs associatifs et j'en passe, ces gens que vous deviez intégrer à la décision publique et qui en réalité ont servi d'alibi pour votre accession à la présidence.

Monsieur le Président, mes paroles sont dures mais elles ne sont que l'expression authentique de la déception et du sentiment de trahison que je ressens à ce jour.

L'expression que vous auriez du promouvoir et qui aurait correspondu à vos promesses est : "the right men at the right place"

Je ne suis pas en train de mépriser ou de remettre en cause la prestance de nos grandes écoles françaises, de notre réseau des écoles du service public, loin de là, au contraire je suis admiratif de la qualité de la formation dispensée par ces institutions.

Mais regardons la réalité en face : malgré des concours nationaux, ces écoles prestigieuses ne recrutent que dans une poignée de prépas. (cf https://www.lemonde.fr/campus/article/2019/02/10/80-des-eleves-de-l-x-issus-de-10-lycees-le-recrutement-polarise-des-ecoles-d-ingenieurs_5421655_4401467.html)

Par exemple, qui sont les admis des toutes meilleures écoles d’ingénieurs ? En 2018, les 415 reçus à Polytechnique étaient, en écrasante majorité, des hommes (78 %), bacheliers S, titulaires à 92 % d’une mention « très bien » au bac, et à 95 % issus de prépa. Et pas n’importe lesquelles : essentiellement des classes « étoilées » – réservées aux meilleurs, présentes dans une poignée de lycées, en particulier Sainte-Geneviève (Versailles), Louis-le-Grand (Paris) ou Stanislas (Paris). Ces trois lycées à eux seuls remplissent plus de la moitié de la promotion de l’école de Palaiseau

Au total, seulement 10 lycées ont constitué plus de 80% de la promotion entrée à Polytechnique en septembre 2018, via les concours prépa, alors qu’il existe plus d’une centaine de lycées proposant, en France, des classes préparatoires scientifiques.

Sur cette promotion 2018, plus de la moitié des élèves viennent de préparations privées et l'autre des grandes prépa publiques parisiennes ou lyonnaises.

Ce système fait que les écoles d’ingénieurs les plus cotées recrutent dans une poignée de prépas, lesquelles accueillent une majorité d’élèves de catégories sociales favorisées !

Même si Polytechnique accentue ce phénomène, cette observation est valable dans l’ensemble des écoles d’ingénieurs. Aujourd’hui, ces études sont l’apanage des classes aisées, avec une majorité d’enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures (54 % en 2017 contre 13 % dans la population française). Seules les formations d’ingénieurs au sein des universités sont plus mélangées.

Monsieur le Président, le système sur lequel vous vous appuyez est vicié, c'est un système qui crée dans le pays une inégalité méritocratique et qui fait écho à l'inégalité aristocratique qui prévalait encore au siècle dernier.

On reste dans la dimension de l'entre-soi, ce sont toujours les mêmes ou à peu près qui constituent l'élite politique du pays et force est de constater que leur compétence théorique, aussi peu contestable soit-elle, est insuffisante et doit impérativement être complétée par la vision pragmatique des professionnels du terrain.

Le pouvoir technocratique nous étouffe et ne résout rien. Il faut lui substituer une autre conception du pouvoir, où le technocrate est toujours présent mais ne décide pas seul.

Il est soumis à l'avis conforme du sachant, du professionnel de terrain dans chaque domaine concerné et c'est l'harmonisation des deux visions qui conduit à la décision.

Enfin, cette nouvelle conception du pouvoir permet d'exclure les dérives népotiques qui accompagnent jusqu'à ce jour votre gouvernance et que vous aviez promis de supprimer : autrement dit, fini de placer ses amis dans des postes dorés ou de récompenser ceux qui ont rendu service ( ex : l'écrivain Besson qui a aidé à l'élection , qui a écrit sur vous et qui est aujourd'hui consul).


2) la gourvernance jupiterienne


J'ai déjà abordé ce second principe lorsque j'ai mentionné l'expression de pouvoir prétentieux, empruntée au philosophe Marcel GAUCHET.

La seconde raison de votre échec, Monsieur le Président, tient à votre façon de gouverner qui est aux antipodes de vos promesses électorales.

Et en cela, vous ne rompez pas avec la culture politique classique, avec cette vieille tradition de l'Etat bureaucratique qui a peur de sa société très politisée et qui veut à tout prix codifier du haut de sa tour d'ivoire, les comportements des individus.

J'ai longtemps cru que votre volontarisme était contrecarré par la lourdeur de notre bureaucratie, mais j'ai compris ces derniers temps que vous ne souhaitez pas associer réellement la société civile à vos décisions. C'est cette méthode que dénoncent vos détracteurs quand ils vous traitent de Jupiter, j'ai voulu croire pendant longtemps qu'ils se trompaient mais je me suis fourvoyé. L'actualité leur donne d'ailleurs raison ( cf https://www.valeursactuelles.com/politique/municipales-la-macronie-decide-seule-autour-dun-diner-lelysee-dorganiser-le-second-tour-fin-juin-119607), puisque vous décidez ce jour, après un repas à l'Elysée avec votre cercle rapproché, l'organisation du second tour des municipales le 28 juin.

Depuis votre élection, 26 députés ont quitté votre organisation politique dénonçant tantôt explicitement tantôt implicitement vos méthodes autocratiques.

Les députés ne sont pas libres dans l'exercice de leurs fonctions et se retrouvent souvent en porte-à-faux avec leurs électeurs.

Mais au-delà, ce sont les citoyens qui n'acceptent plus cette façon dominatrice de diriger en France. Car le peuple français, tout bourrin et indiscipliné qu'il est, tout "gaulois réfractaire" qu'il peut paraître, n'est pas si bête et il est surtout informé, éduqué et comprend ce qui se joue aujourd'hui dans notre pays et dans notre monde.

Nombre d'associations, de penseurs érudits, tout un vivier de la société civile a des idées Monsieur le Président et elles sont loin d'être stupides.

Les Français, je pense, n'acceptent plus ce pouvoir qui les regarde d'en haut.

La crise de la confiance du citoyen en ses institutions atteint son paroxysme sous votre mandat, le mirage de la participation effective de la société civile à la décision publique ayant été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase du mécontentement accumulé depuis des années de présidentialisation à tout crin du régime.


Monsieur le Président, je suis moi-même serviteur de l'Etat et je respecte profondément le système institutionnel dans lequel j'évolue.

Je remarque simplement que ce système doit être réformé pour permettre la véritable participation du citoyen à la décision publique, seule garantie d'une démocratie effective, sans quoi la République s'expose à de sérieuses menaces.

Ce sera l'objet de ma troisième lettre à venir.


Respectueusement.


James

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