top of page

Happy ours ?

Dernière mise à jour : 17 juin 2020




Si vous avez lu mon texte sur le loup, vous savez que la situation des grands prédateurs est complexe et conflictuelle en France. Qu’en est-il pour l’ours ?

Les ours ne s’attaquent pas à l’homme lorsqu’ils ont faim (ils ne dévorent jamais leurs victimes - notre viande n’est pas du tout à leur goût, comme c’est d’ailleurs le cas pour les autres grands prédateurs) mais pour des questions de territoire et de dérangement. Une vidéo tournée il y a quelques semaines en Italie montre d’ailleurs un adolescent reculer tranquillement, un ours le surveillant et se mettant brièvement sur ses pattes arrière (car l’ours a une très mauvaise vue, pas parce qu’il est agressif).

Ces derniers mois, de plus ou moins bonnes nouvelles des ours français ont été diffusées : la mort de Cachou (unique fils de Balou, un ours slovène lâché dans les Pyrénées en 2006), dans des circonstances troubles ; la naissance d’oursons ; la consultation publique (poudre aux yeux de démocratie participative) pour ou contre l’effarouchement des ours, qui se soldera sans aucun doute par un oui à l’effarouchement alors qu’entre 80 et 95 % des participants aura dit non.

En 2020, l’association Pays de l’ours - ADET a publié sa carte annuelle de répartition des ours dans les Pyrénées (https://www.paysdelours.com/fr/ours/ours-pyrenees/point-population-ours-pyrenees.html- elle ne prend pas en compte la mort de Cachou, intervenue quelques temps après sa publication). En 2019, les ours étaient donc une cinquantaine dans les Pyrénées. Même si les chiffres sont encourageants, les ours restent dans une situation délicate.

Jusqu’à une époque récente, le dossier de l’ours recouvrait deux volets territoriaux distincts.

- Le volet béarnais correspondant à un reliquat de population autochtone, qui regroupait moins d’une dizaine d’individus au début des années 1990 et seulement 2 mâles en 2017. Sans intervention, la population était condamnée à l’extinction. Les tentatives des années 1980 pour mettre en place une gestion concertée de cette population béarnaise d’ours (« Plan Ours » de 1984, « Directive Ours » de 1988) se sont heurtées à une résistance obstinée soutenue par le ministère de l’Agriculture, par ses services déconcentrés et les établissements publics. Des conflits intenses ont défrayé la chronique dans les années 1980 et 1990, culminant avec la « guerre de l’ours » autour, entre autres, de la mise en réserve d’un espace minimum vital pour la préservation des derniers ours pyrénéens : les « réserves Lalonde ». À la suite de cet épisode, certains acteurs locaux (élus, chasseurs, socio-professionnels agricoles) aidés par des services du ministère de l’Agriculture, remportent l’épreuve de force et obtiennent, en 1993, que leur soit confiée la gestion de l’ours et des aménagements associés à sa conservation. À cette fin, un Syndicat mixte, l’Institution patrimoniale du Haut Béarn (IPHB), est créé en 1994. Les acteurs locaux et nationaux favorables à l’ours sont alors largement dépossédés du dossier de l’ours en Béarn et voient s’éloigner la perspective d’un renforcement de la population.

- Un deuxième volet est alors ouvert dans les Pyrénées centrales. Un groupe d’élus locaux de la Haute-Garonne montagnarde, encouragé par ARTUS, une importante association de défense de l’ours, décide de créer en 1991 l’Association pour le développement économique et touristique de la haute vallée de la Garonne (ADET, devenue par la suite Pays de l’ours - ADET). Son objectif est de réintroduire des ours afin de valoriser écologiquement et économiquement cette zone rurale fragile. Cependant, le ministère de l’Environnement est réticent. À partir de 1993, le blocage de la situation dans le Haut-Béarn conduit le ministère à changer de stratégie. Il soutient alors le dossier de l’ADET, qui prend forme assez rapidement. Une réintroduction de trois ours originaires de Slovénie (pour des raisons génétiques, géopolitiques et de stocks), deux femelles et un mâle, a donc lieu en 1996 et 1997. Les lâchers sont faits dans la forêt de Melles en Haute-Garonne (Melles est encore aujourd’hui une commune où élus et population protègent les ours et militent activement pour leur conservation). Ces ours, notamment les jeunes (les femelles lâchées étaient pleines), sont beaucoup plus mobiles que certains ne l’avaient prévu et se trouvent répartis sur toute la chaîne des Pyrénées.

L’Espagne a lâché un nouveau mâle en 2016. Les défenseurs de l’ours en France demandent alors au ministère de l’écologie de faire de même, et donc en même temps de respecter ses engagements de protection de l’espèce (seulement deux ours mâles dans le Béarn, énormes problèmes de consanguinité : la population d’ours était condamnée), mais sans résultat, jusqu’à mars 2018, où Nicolas Hulot, ministre de l’environnement, annonce le lâcher de deux ourses dans les Pyrénées. Il démissionne peu après, écœuré de devoir conjuguer écologie et lobbies. Ce lâcher a été confirmé par son éphémère successeur François de Rugy, et effectué par hélicoptère à cause du blocage des routes par les éleveurs le 4 octobre 2018 (pour la première ourse, le second lâcher ayant été fait le lendemain). À peine les hélicoptères passés, les éleveurs ont levé les barrages pour aller en estive faire des battues d’effarouchement.

Mais que reproche-t-on à l’ours ?

En 2017, le nombre d’attaques est de 162 sur animaux et 11 ruchers pour un total de 464 animaux morts et de 34 ruches détruites. Les chiffres sont stables depuis une douzaine d’années alors que le nombre d’ours a augmenté (protection des troupeaux par les patous, clôtures électrifiées). Les dégâts liés à l’ours ne représentent qu’à peine 1% environ des pertesconstatées sur les estives (orages, chutes de pierre, chute des animaux, …). Selon les estimations des éleveurs eux-mêmes, les pertes lors de la transhumance représentent 3 à 5 % du cheptel, soit entre 18 000 et 30 000 bêtes chaque été dans les Pyrénées.

Malgré ces prédations au final très faibles, les voix dénonçant la présence des ours dans les Pyrénées sont puissantes, et audibles, bien que l’ours soit une espèce protégée. Comme pour le loup, c’est le droit international qui protège les ours français. En effet, sans entrer dans les détails, il faut savoir que la protection des grands prédateurs par la loi française n’est pas assurée clairement. Par exemple, au niveau national, l’ours se voit juridiquement attribuer les titres de : « mammifère non domestique », « espèce protégée menacée d’extinction en France », « gibier » et « bête fauve ». L’ensemble de ces qualifications met en évidence l’incohérence du législateur à prendre les mesures adéquates pour protéger l’ours juridiquement. L’Europe a d’ailleurs régulièrement reproché à la France le manque de protection de l’espèce et son état de conservation déplorable. Et la France a joué la montre pendant des années pour ne pas respecter ses engagements, l’État ayant régulièrement reculé face aux protestations d’éleveurs et de chasseurs (qui votent, au contraire des ours !).

Pourquoi cette haine de l’ours ? (Et non, le mot « haine » n’est pas trop fort).

Farid Benhammou, auteur de la thèse « Crier au loup pour avoir la peau de l’ours. Une géopolitique locale de l’environnement à travers la gestion et la conservation des grands prédateurs en France », soutenue en 2007, nous aide à y voir plus clair. Il cite par exemple les mots d’une éleveuse des Hautes-Pyrénées, responsable d’une association anti-ours : « On sent bien que ce sont nos territoires qui sont convoités pour servir à autre chose. On a trop laissé la parole à d’autres qui n'avaient pas nos références historiques, culturelles, à d’autres qui n’étaient pas issus du milieu agricole, rural pyrénéen, il fallait qu’on reprenne l’initiative. C’est Nous les Pyrénées, c’est pas Eux qui vont nous imposer ça ».

Pour plusieurs éleveurs des Pyrénées (pas tous heureusement ! une éleveuse produit des fromages où une empreinte d’ours est visible sur la croute, pour montrer que pour elle, l’ours fait partie intégrante des pâtures pyrénéennes), les prédateurs et la réintroduction de l’ours ne sont que des moyens utilisés pour se débarrasser d’eux. Le problème est le même que pour le loup : les éleveurs veulent (et c’est normal !) pouvoir vivre de leur travail plutôt que de recevoir des subventions, et le grand prédateur est alors un ennemi concret. Des élus les encouragent dans ce discours … Il y a quelques années, Jean Lassalle était prêt à aller chercher des ours en Slovénie à mains nues pour éviter que la population d’ours pyrénéens ne disparaisse, il est aujourd’hui l’un des plus ardents opposants à sa présence.

L’ours bénéficie cependant (et à la différence du loup) d’une image très positive en France, surtout depuis la mort de Cannelle en 2004 (tuée par un chasseur). Des acteurs locaux œuvrent sur le terrain pour favoriser l’acceptation de l’ours (opération estivale Paroles d’ours par exemple : https://www.ferus.fr/benevolat/parole-d-ours) et les récents sondages montrent que les Pyrénéens sont majoritairement favorables au sauvetage de l’espèce.Mais, comme je le disais plus haut, les voix des opposants sont fortes, et très relayées dans les médias. Ainsi, quand des éleveurs se cagoulent et se prennent en photo fusils à la main façon nationalistes corses (2017), la photo fait le tour des médias (https://www.ladepeche.fr/article/2017/09/14/2645335-ariege-armes-encagoules-hommes-annoncent-reouverture-chasse-ours.html) : mais quel média pondèrera la force de cette image en rappelant les chiffres des prédations, la crise de l’élevage, le prix très bas de la viande, la mortalité des bêtes non liée à l’ours mais aux aléas climatiques, gravitaires ou aux maladies ? En rappelant aussi tout simplement que chasser une espèce protégée est un délit ?

Le problème c’est que les opposants aux ours sont toujours aussi déterminés, et que sur Facebook par exemple, des sites permettent d’exhiber fièrement un piège à ours, une bouteille cassée contenant miel, mélangé à du poison ou encore des bris de verre … avec de nombreux commentaires appelant à la destruction de cet animal protégé. On peut aussi se rappeler de ces moments où pour éviter la réintroduction des deux dernières ourses venues de Slovénie des éleveurs ont bloqué les routes et fouillé les camions sous l’œil des gendarmes.

L’ours est un autre exemple de l’urgence qu’il y a à apprendre la cohabitation avec les grands prédateurs (et avec notre environnement « sauvage » en général, environnement dont nous faisons partie). C’est dans le dialogue que cet apprentissage peut se faire, dans le refus de céder aux différents lobbys (chasse, élevage) … mais aussi dans le respect des lois et des textes dont la France est signataire.


Le 9 juin 2020, le cadavre d'ours, tué par balles, a été découvert en Ariège. L'Etat annonce qu'il va porter plainte pour destruction d'espèce protégée ... quelle ironie quand on voit que c'est le laxisme de ce même État qui entraîne de tels actes, commis en toute impunité ... la suite débouchera-t-elle sur quelque chose ? L'espoir fait vivre paraît-il.

76 vues4 commentaires
bottom of page