Le remaniement ou l'art du président de la République de réinventer "un autre monde"
Chères lectrice, chers lecteurs,
Au risque de vous surprendre et/ou de vous décevoir, je souhaite prendre le contre-pied des plus grands analystes de la politique française et globalement de la position adoptée par l'ensemble des médias nationaux.
En effet, contrairement à ce que vous avez pu lire ou écouter, Emmanuel Macron a tenu sa promesse !!! Oui, comme il nous l'avait promis au plus fort de la pandémie, il s'est réinventé..
Finie, la Macronie, cette galaxie improbable née du big bang de la droite et de la gauche française et composée d'électrons libres ralliés à La République En Marche au nom de leurs ambitions personnelles de pouvoir. Exit cette univers de gens issus de la société civile, appelés à obéir à la voix du maître Macron.
Voici venu le nouveau monde, celui de la Makrozye, un monde merveilleux où les proches de l'ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, sont promus aux postes de premier plan, au sein du gouvernement, aux côtés des marcheurs ambitieux et de la société civile obéissante.
Quel changement disruptif (pour reprendre un mot à la mode dans les milieux qui parlent bien) !!! Quel bouleversement novateur dans la proposition politique du chef de l'Etat, qui a enfin compris les aspirations écologiques et sociales exprimées par la jeunesse dans la rue ! Quelle incroyable modification de trajectoire opérée par le président pour respecter la tendance écologique forte des Français qui s'est dégagée du scrutin municipal ! Le nouveau casting gouvernemental a été à la hauteur, vraiment et on ne pouvait espérer mieux que ce curieux mélange des genres entre Macron et Sarkozy qui accouche de la Makrozye.
Bon, j'arrête là avec cette introduction, pleine de cynisme et de sarcasme, mais je n'ai pas trouvé d'autre moyen pour exprimer ma colère citoyenne à l'issue du remaniement ministériel opéré en début de semaine.
Si vous avez lu mes précédents posts sous forme de lettres à Emmanuel Macron, vous devez être surpris par ma réaction, car après tout pourquoi serais-je désagréablement surpris par un non-événement, autrement dit par une situation somme toute logique qui n'est que la déclinaison normale de la matrice macronienne.
Et bien, non, je ne m'y fais pas et j'assume devant vous cette colère, qui est une saine colère, de l'ordre de celles qui vous saisissent quand la démocratie est quelque peu confisquée.
Oui, le vocabulaire peut paraître exagéré mais pourtant je pèse mes mots.
Emmanuel Macron fait du Sarkozy et comme lui il fait passer la chose publique après son intérêt personnel et son objectif de réélection en 2022. Et le pire c'est que l'on apprend de divers sources journalistiques que le chef de l'Etat a consulté secrètement Nicolas Sarkozy à plusieurs reprises pendant ces périodes de confinement et de déconfinement.
Au final, même méthode avec en plus la promotion de proches du chef de l'Etat à des postes clés.
Voilà pourquoi je parle de Makrozye !
Rappelez-vous. C’était en 2007, année magique du sarkozysme. Fraîchement élu, enivré par sa victoire, le tout nouveau président proposait de devenir le DRH d’un Parti socialiste assommé par la défaite. Manière de piétiner le vaincu, il débauchait avec délectation plusieurs cadres de ce parti.
Une dizaine d’années plus tard, Emmanuel Macron, le copie allègrement. Il pille avec une minutie d’orfèvre le monde de la Sarkozy. Dans son escarcelle, la pêche est plutôt bonne. Premier ministre : Jean Castex, ancien secrétaire général adjoint à l’Elysée de Sarko. Ministre de la Culture : Roselyne Bachelot, ancienne ministre de Sarko.
Ministre de l’Intérieur : Gérald Darmanin, ancien disciple déclaré de Sarko, et toujours en contact avec le « maître ». En septembre 2014, il était porte-parole de la campagne de Nicolas Sarkozy, candidat à la présidence de l'UMP puis nommé secrétaire général adjoint aux élections, par le nouveau président de l'UMP Sarkozy. Il lui apportera son soutien pour la primaire française de la droite et du centre de 2016sera son coordinateur de campagne.
Ministre de l'Economie : Bruno Lemaire, ancien ministre de l'agriculture sous la présidence Sarkozy
Ministre de l'outre-mer : Sébastien Lecornu, ancien secrétaire général de l'UMP au début de la présidence Sarko et dont on apprend qu'il a encore dîner avec Sarko et Darmanin le 7 mai 2020au soir.
Ministre Délégué du Commerce extérieur : Franck Riester : nommé secrétaire national de l'UMP chargé de la communication en 2011, puis membre de la cellule « riposte » de l'UMP en octobre 2011, qui est chargée de défendre le bilan de Nicolas Sarkozy avant son entrée officielle en campagne. Il sera pendant la campagne pour l'élection présidentielle de 2012, le porte-parole adjoint de Nicolas Sarkozy.
Ministre de la Transformation et de la Fonction Publique : Amélie de Monchtalin qui a participé à la campagne présidentielle de Sarkozy en 2007
Comment expliquer cette prééminence des sarkozystes dans le gouvernement ? Comment expliquer cette proximité entre Emmanuel Macron et l'ancien chef de l'Etat, devenu conseiller officieux du président ?
Qui manipule qui ?
A vrai dire je n'en sais rien mais tout ce que je sais c'est que la démocratie est en panne.
Les preuves :
ceux qui ont élu Macron en 2017 n'ont pas voulu voter forcément en faveur d'une politique droitière, ils ont voulu faire barrage à Marine Le Pen et ont imaginé une autre forme de gouvernance, non partisane et basée sur un équilibre entre politiques et société civile. Or aujourd'hui, l'orientation donnée par Emmanuel Macron tend à droite, avec des partisans du sarkozysme, sans que cela soit péjoratif, mais sans que cela ait été initialement voulu par les électeurs
tous les gens qui attendent les orientations de ce nouveau gouvernement vont être déçus car la seule fonction de cette équipe de ministre est d'assurer la réélection du chef de l'Etat. En effet Emmanuel Macron a réuni tous les courants de la droite, de la droite populaire de Darmanin à la droite modérée de Lemaire. Ce faisant il contrôle les principaux adversaires qui pourraient avoir des velléités de candidater contre lui ou qui sont des amis de potentiels candidats (Darmanin est proche de Xavier Bertrand, Castex de François Barouin). De même, en promouvant Jean Castex au poste de Premier ministre il s'assure le soutien potentiel des maires de droite qui dirigent 55% des communes françaises. Emmanuel Macron fait en réalité le pari que la gauche va se fracturer entre néo-socialistes, mélanchonistes et écologistes pour la présidentielle de 2022 et caresse donc la droite dans le sens du poil pour capter son électorat et contrer sa principale adversaire d'extrême-droite. On sent l'influence calculatrice de Nicolas Sarkozy et cette conception particulière du pouvoir : on détermine des orientations politiques non pour satisfaire l'intérêt général ou respecter les aspirations des Français mais pour assurer le maintien de son pouvoir. Le peuple veut plus d'écologie et de social dans un contexte de crise sanitaire, de crise économique mais non, l'écouter ce serait aller vers la gauche or ce n'est pas l'électorat de gauche qui le maintiendra au pouvoir...
le chef de l'Etat continue dans sa conception jupiterienne du pouvoir, dans cette hyper présidence qui confine à l'autoritarisme : ainsi a-t-il placé tous ses proches et membres de son cabinet à l'Elysée aux postes de chef des cabinets dans les ministères clés (Intérieur, Justice, Premier Ministre). Je vous renvoie à un article du Monde qui détaille tout ces petits déménagements stratégiques destinés à donner au Président la mainmise sur tout le gouvernement.
Au final, je me pose cette question : jusqu'à quand allons-nous accepter cette manipulation des institutions de la cinquième république, ce dévoiement du pouvoir au profit d'une caste qui joue depuis des années au Monopoly électoral ?
Comment encaisser que le ministère de la transition écologique ne soit pas ministère d'Etat et premier ministère dans l'ordre protocolaire alors que le Président et les urnes ont mis le climat et l'environnement au premier rang des priorités nationales ?
Comment comprendre que les premières visites du Premier Ministre et du Ministre de l'Intérieur soient des commissariats avec un discours emphatique, sans nuances et qui ne tient absolument pas compte de la tension sociale qui existe entre la police et une bonne partie de notre jeunesse ? Pourquoi les hôpitaux, les associations d'aide à la pauvreté n'ont pas eu droit à ce genre de visites symboliques ?
Pour reprendre l'expression d'un membre de ce blog qui se reconnaîtra, Emmanuel Macron a enlevé son "Karl masque" du confinement et a repris son cap néo-libéral établi dès 2017. La réforme des retraites doit passer, il fait reprendre les négociations pendant l'été et a déjà anticipé un automne bouillant en terme de manifestations, grèves et autres mécontentements. Il a besoin des forces de sécurité pour que l'ordre républicain soit respecté d'où les manoeuvres ci-avant exposées.
Je veux, pour conclure, attirer votre attention sur ce que pourrait cacher ce nouveau monde de la Makrozye. Je ne suis absolument pas friand des thèses complotistes mais je veux vous soumettre les éléments suivants :
Eric Dupont-Moretti vient d'être nommé garde des Sceaux
un de ses meilleurs amis est Thierry Herzog, l'avocat de Nicolas Sarkozy. Pour rappel, l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy est poursuivi notamment pour la « corruption » d’un haut magistrat de la Cour de cassation, une affaire révélée par des écoutes téléphoniques, et son avocat Thierry Herzog ainsi que l'ancien haut magistrat Gilbert Azibert vont être jugés à la rentrée, dans la même affaire avec Monsieur Sarkozy, pour corruption, trafic d’influence et violation du secret professionnel.
Eric Dupont-Moretti a défendu Henri Gaino, l'ancienne plume et ami de Nicolas Sarkozy, dans une affaire d'outrages proférées par Monsieur GAINO à l'encontre de Jean-Michel Gentil, juge d'instruction dans l'affaire Bettancourt, après la mise en examen de Monsieur Sarkozy. Il a d'ailleurs obtenu l'annulation de la condamnation de Monsieur GAINO à une amende devant la Cour de cassation en 2016. Mais il a donc eu un accès indirect à cette affaire où été impliqué Nicolas Sarkozy, défendu par Me Herzog.
Eric Dupont-Moretti a été l'avocat jusqu'en 2018 de Monsieur Alexandre Djouhri, homme d'affaires franco-algérien mis en examen, à la suite d'un mandat d'arrêt européen , dans le cadre de l’enquête sur un possible financement libyen de la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy. Des indices concordants s’étant accumulés sur un possible versement de fonds par Mouammar Kadhafi pour financer la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, une enquête judiciaire est instruite depuis avril 2013 par deux juges du parquet national financier (PNF). Djouhri pourrait d'ailleurs être impliqué dans la mort de l’ancien ministre du pétrole libyen qui, en 2007, consignait à la main dans un carnet les sommes occultes promises à Nicolas Sarkozy, et qui a été retrouvé flottant dans le Danube, à Vienne, en avril 2012... Alexandre Djouhri est actuellement en détention provisoire sous contrôle du Parquet National Financier, organe judiciaire qu'un homme veut supprimer : Eric Dupont-Moretti, nouveau ministre de la Justice.
A vous désormais de vous faire une opinion au vu de ces éléments, de vous interroger sur le pourquoi de la nomination de Monsieur Dupont-Moretti, contre toute attente au poste de ministre de la justice. Pourquoi ??
Est-il possible d'occuper ce poste alors qu'on est en total conflit d'intérêt avec cette fonction compte tenu de son ancienne activité professionnelle ? La proximité professionnelle et amicale de Monsieur Dupont-Moretti avec l'entourage politique de Monsieur Sarkozy, la connaissance subséquente des dossiers sensibles le concernant et qui vont être jugés dans quelques mois (corruption d'un magistrat et affaire Bygmalion sur la possibilité d'un financement illégal de la campagne présidentielle de 2012), la présence des proches de Monsieur Sarkozy à la tête de Beauvau et de Matignon, sont-ils de pure coïncidences ?
L'avenir nous donnera des indices mais je suis inquiet. Le nouveau monde sera le même que celui d'avant mais en pire...disait il y a quelques mois Michel Houellbecq.
J'ai peur qu'il ait raison.